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DROITS ET LIBERTÉS DANS L'ENTREPRISESurveillance des salariés
DROITS ET LIBERTÉS DANS L'ENTREPRISESurveillance des salariés

Vidéosurveillance : un moyen de preuve pour licencier ?

Publié le 3 mars 2022
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Sous divers prétextes sécuritaires, les dispositifs de vidéosurveillance se multiplient dans les entreprises. Peuvent-ils être détournés pour contrôler l'activité des salariés ? Un employeur peut-il utiliser ces images à l'appui d'un licenciement ? NVO Droits vous répond.

Les risques de vols ou d'agressions ont « bon dos ». Immanquablement, ils sont invoqués par les employeurs lors de la mise en place de systèmes de vidéosurveillance… et deviennent ainsi prétexte à la prolifération des caméras sur les lieux de travail. Quelles sont les limites ? Les salariés peuvent-il être filmés en continu ? Un employeur peut-il présenter au juge les images obtenues pour prouver une faute ?

Recommandations de la Cnil

Selon la Cnil (Commission nationale de l'informatique et des libertés), sur le lieu de travail comme ailleurs, les salariés ont droit au respect de leur vie privée. Les caméras ne doivent pas, en principe, les filmer sur leur poste de travail, sauf circonstances particulières (employé manipulant de l'argent par exemple, mais alors la caméra doit davantage filmer la caisse que le caissier).

Par ailleurs, si un dispositif peut être légitime pour assurer la sécurité des biens et des personnes, il ne peut conduire à placer les employés sous surveillance constante et permanente.

Exemple Le gérant d'un restaurant reproche à un salarié, pizzaiolo, des manquements au respect des horaires et des règles d'hygiène et sécurité. Une caméra est installée dans la cuisine de manière à le filmer en continu (et seulement lui). Par la suite, les images recueillies sont présentées au juge à l'appui du licenciement du cuisinier. Ces moyens de preuve sont jugés irrecevables par la Cour de cassation dans un arrêt du 23 juin 2021 (n° 19-13856), au motif que ce dispositif de surveillance a porté une atteinte disproportionnée à la vie personnelle du salarié (consulter notre article sur cet arrêt : « Salariés placés sous vidéosurveillance, des règles strictes »).
En savoir plus : Formalités à accomplir pour l'employeur, délais de conservation des images, recours sur cnil.fr

Obligation d'informer les salariés

Dans toutes les entreprises, quelle que soit leur taille, les salariés doivent être informés de la mise en place d'un dispositif de surveillance (art. L. 1222-4 du C. trav.). Dans les entreprises d'au moins 50 salariés s'y ajoute l'obligation d'informer et de consulter le CSE sur les moyens et techniques utilisés (art. L. 2312-38 du C. trav.). Ces deux formalités doivent être effectuées préalablement à la mise en œuvre du dispositif de vidéosurveillance (art. L. 2312-38 du C. trav.). À défaut, les images obtenues sont des moyens de preuve illicites et, à ce titre, peuvent être rejetées par le juge.

Exemple Un employeur décide la mise en place d'un système de vidéosurveillance dans une pharmacie pour « assurer la protection et la sécurité des biens et des personnes ». Pas moins de cinq caméras sont placées dans l'espace recevant du public, la réserve et les bureaux. Quelques semaines plus tard, une salariée est licenciée pour faute grave, au motif de ventes non enregistrées. La procédure d'information-consultation des salariés et du CSE n'ayant pas été respectée, les enregistrements vidéo présentés au conseil de prud'hommes à l'appui du licenciement ont été jugés illicites dans un arrêt de la Cour de cassation du 10 novembre 2021 (n° 20-12263).
L'issue de ce procès, certes positive pour la salariée, n’en est pas moins problématique. La Cour de cassation confirme ici sa nouvelle jurisprudence, selon laquelle une preuve illicite ne doit pas être nécessairement écartée des débats par le juge. Tout est affaire de circonstances.

Preuves illicites mais recevables ?

Jusqu'à une période récente, un moyen de preuve illicite présenté par l'employeur à l'appui d'un licenciement (ou de toute sanction) au cours d'un procès était automatiquement rejeté par le juge. En conséquence, le licenciement était jugé sans cause réelle et sérieuse sans qu'il soit nécessaire de débattre de la réalité de la faute commise par le salarié. Ce n'est plus le cas aujourd'hui.

Dans son arrêt du 10 novembre 2021 (no 20-12263), la Cour de cassation donne raison à la salariée, mais elle précise que « l’illicéité d’un moyen de preuve […] n’entraîne pas nécessairement son rejet des débats, le juge devant apprécier si l’utilisation de cette preuve a porté atteinte au caractère équitable de la procédure dans son ensemble, en mettant en balance le droit au respect de la vie personnelle du salarié et le droit à la preuve, lequel peut justifier la production d’éléments portant atteinte à la vie personnelle d’un salarié à la condition que cette production soit indispensable à l’exercice de ce droit et que l’atteinte soit strictement proportionnée au but poursuivi. »

Critères de nécessité et proportionnalité

L'illicéité d'un moyen de preuve présenté au juge n'entraîne plus systématiquement son irrecevabilité. Ce moyen de preuve peut être admis lorsque des critères de nécessité et de proportionnalité sont remplis. Pour vérifier ces critères, le juge évalue en premier lieu l'objectif poursuivi par l'employeur : cet enregistrement vidéo était-il le seul moyen, propre à établir la faute du salarié ? Cette faute, commise ou susceptible d'avoir été commise, était-elle si grave qu'il fallait recourir à ce procédé pour en apporter la preuve ? Était-il envisageable de faire autrement ? Face à ces éléments est ensuite évaluée l'atteinte à la vie privée du salarié. Si cette dernière est considérée comme « proportionnée » par le juge, alors le moyen de preuve sera admis.

Avec cette nouvelle jurisprudence, la Cour de cassation encourage les pratiques intrusives des employeurs. La protection des salariés contre des agissements potentiellement attentatoires à leur vie privée s'en trouve sensiblement affaiblie.
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