Une prime pour des salariés non-grévistes, c’est possible ?
La Cour de cassation admet qu'une prime exceptionnelle puisse être octroyée uniquement à des salariés non-grévistes, au motif d'une surcharge de travail. La porte ouverte aux discriminations !
En dépit de l'interdiction des discriminations liées à l'exercice du droit de grève, la Cour de cassation admet, dans un arrêt du 3 avril 2024, l'attribution d’une prime exceptionnelle à des salariés non-grévistes en cas de surcroît de travail ou de réalisation de tâches non prévues par le contrat de travail (n° 22-23.321). Une jurisprudence très contestable.
Quelques rappels sur le droit de grève
La grève est définie en droit du travail comme une cessation collective et concertée du travail en vue d’appuyer des revendications professionnelles.
Pour qu'un mouvement social soit qualifié de grève, deux conditions essentielles sont à remplir :
- l'arrêt du travail doit être total ;
- l'employeur doit avoir connaissance des revendications professionnelles des grévistes (portant sur le salaire, les conditions de travail, la défense des droits, etc.).
Le salarié qui exerce son droit de grève dans ces conditions bénéficie d'un régime protecteur. À ce titre, le Code du travail pose deux interdictions (art. L. 2511-1 C. trav.) :
- l'employeur ne peut rompre le contrat de travail au motif de la grève, sauf faute lourde commise par le salarié ;
- le salarié ne peut être l'objet d'une mesure discriminatoire, notamment en matière de rémunération ou d’avantages sociaux.
L'octroi d'une prime à certains salariés non-grévistes constitue-t-elle une mesure discriminatoire à l'encontre de ceux qui ont exercé leur droit de grève ? Pas nécessairement, selon l'arrêt de la Cour de cassation du 3 avril 2024 (n° 22-23.321).
Prime accordée à certains salariés non-grévistes
En 2018, la direction d'un hypermarché Carrefour situé près de Pointe-à-Pitre, en Guadeloupe, annonce la remise en cause d'un accord d’entreprise (procédure de dénonciation). Une très mauvaise nouvelle pour les salariés : tickets-restaurant, prime panier, indemnité de transport et prime d'ancienneté sont sur la sellette. Pour maintenir leurs acquis sociaux, une large partie du personnel vote la grève. La mobilisation, payante, durera quatre-vingt-deux jours.
Après la reprise du travail, l'employeur informe le comité social et économique (CSE) du versement d’une prime exceptionnelle. Problème : cette prime ne sera attribuée qu'aux salariés non-grévistes ayant fournis, durant le conflit, « des efforts supplémentaires […] en dehors de leurs tâches habituelles », en raison d'une « surcharge exceptionnelle » de travail.
S’estimant victimes de discrimination en raison de l'exercice du droit de grève, 34 salariés de l'hypermarché saisissent les prud'hommes pour obtenir le versement de la prime. La CGT Guadeloupe est à leurs côtés.
Pas de discrimination… c'est vite dit !
La Cour de cassation rejette la demande des salariés. Elle estime que le versement de la prime n'est pas discriminatoire, car cette dernière n'a profité qu'à certains salariés, non-grévistes, en raison du surcroît de travail engendré par l'exécution de tâches ne relevant pas de leurs fonctions. Il n'y a donc pas de remise en cause du principe selon lequel il est interdit aux employeurs de verser une prime à des salariés au motif qu'ils n'ont pas fait grève (Cass. soc. 1er juin 2010, 09-40.144). Dans son arrêt du 3 avril 2024 (n° 22-23.321), la Cour de cassation précise bien que le versement de la prime n'est possible que dans la mesure où certains salariés non-grévistes en bénéficient ; ceux-là même qui ont fourni des « efforts supplémentaires ».
Pour autant, comment est-il possible d'affirmer que l'attribution de cette prime repose sur une cause étrangère à l'exercice du droit de grève ? Bien au contraire, elle en est la conséquence directe ! Cette jurisprudence est, à ce titre, fort critiquable. Elle permet en effet aux employeurs de dissuader les travailleurs d'exercer un droit garanti par la Constitution en leur promettant monts et merveilles.