Une « blague » sexiste peut conduire au licenciement
#MeToo fait son entrée à la chambre sociale de la Cour de cassation. Dans une affaire récente, elle devait trancher entre la liberté d'expression garantie au salarié et la sanction de propos sexistes. Les circonstances particulières de cette affaire l'amènent à approuver le licenciement de l'animateur télé incriminé (Cass. soc. 20 avr. 2022, n°20-10852). Retour sur une affaire médiatique.
Histoire d'un sexisme ordinaire
Tex, humoriste et animateur du jeu télévisé « Les Z’amours », est invité sur une émission diffusée sur une autre chaîne pour faire la promotion de son dernier spectacle. En fin d'émission, il fait une dernière blague : « Comme c'est un sujet super sensible, je la tente : les gars vous savez c'qu'on dit à une femme qu'a déjà les deux yeux au beurre noir ? – Elle est terrible celle-là – On lui dit plus rien on vient déjà d'lui expliquer deux fois ! ». S'en suit une vive polémique. Quelques jours plus tard, lors de l'enregistrement du jeu dont il est animateur, Tex y tient des propos similaires. Il est licencié pour faute grave.
La Cour de cassation est saisie et doit répondre à deux questions :
- Le salarié a-t-il commis une faute dans l'exécution de son contrat de travail ?
- La liberté d'expression garantie au salarié fait-elle obstacle à son licenciement lorsque les propos reprochés sont présentés comme une plaisanterie ?
Attention. La Cour de cassation n'avait pas à juger si un humoriste a le droit de faire une telle « blague » à la télévision. Sa décision se place dans le cadre du contrat de travail de l'humoriste en tant qu'animateur télé et de la légitimité de son employeur de le licencier pour ses propos.
Une faute contractuelle
Pour justifier le licenciement de l'animateur télé, la Cour de cassation se fonde en premier lieu sur la faute qu'il a commise dans l'exécution de son contrat de travail. En effet, l'animateur s'y engageait à respecter la Charte des antennes de France télévisions impliquant de ne tenir aucun propos sexiste à l'antenne ou sur d'autres médias, sous peine de licenciement. Il avait donc bien manqué à son obligation contractuelle en ne respectant pas cette clause de son contrat de travail.
Une atteinte légitime à la liberté d'expression
Le licenciement de l'animateur salarié constitue une ingérence de l'employeur dans l'exercice de son droit à la liberté d'expression. Les juges doivent alors déterminer si cette ingérence est nécessaire dans une société démocratique. Pour ce faire, ils doivent vérifier si l'atteinte à la liberté d'expression poursuit un but légitime et si la sanction est proportionnée à ce but.
Pour justifier le but poursuivi par l'employeur, les juges rappellent le contexte médiatique de l'époque : affaire Weinstein, libération de la parole des femmes sur les réseaux sociaux avec les mouvements « #MeToo » et « #BalanceTonPorc » et récentes annonces présidentielles sur la lutte contre les violences sexistes et sexuelles. Ils jugent qu'en limitant la liberté d'expression de l'animateur, l'employeur poursuivait un but légitime de lutte contre les violences conjugales et de protection de sa réputation.
Ils estiment ensuite que le licenciement constituait une sanction proportionnée au vu de plusieurs éléments :
- les propos sexistes ont été tenus dans une émission diffusée à une heure de grande écoute ;
- ils ont été tenus en fin d'émission ce qui ne permettait pas de mettre à distance ce qui était présenté comme une « blague » ;
- les jours suivants, l'animateur s'est montré satisfait de la polémique créée par ses propos et a tenu, à plusieurs reprises, des propos misogynes et injurieux à l'égard des candidates du jeu télévisé qu'il animait ;
- ces propos réitérés banalisant les violences faites aux femmes faisaient peser un risque commercial sur la société de production employant l'animateur.
Une argumentation ciselée tant les frontières de la liberté d'expression d'un salarié peuvent être difficiles à tracer, en particulier lorsqu'il est humoriste.