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COMITE SOCIAL ET ECONOMIQUE
COMITE SOCIAL ET ECONOMIQUE

Un projet de cession : ça concerne les orientations stratégiques !

Publié le 15 novembre 2019
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Si un projet de cession, non évoqué lors de la consultation du CSE sur les orientations stratégiques, constitue un changement significatif de la stratégie de l'entreprise, la consultation sur le projet doit être suspendue et la consultation sur les orientations effectuée ou réitérée.

Lorsqu'un employeur soumet un projet ponctuel à l'information-consultation du comité social et économique, doit-il au préalable l'avoir intégré ou évoqué lors de la consultation récurrente sur les orientations stratégiques de l'entreprise, prévue par l'article L. 2312-24 du Code du travail, dès lors que ce projet impacte sa stratégie à court ou moyen terme ?

Telle est la question à laquelle devaient répondre les juges du tribunal de grande instance de Nanterre dans l'affaire de la cession par l'unité économique et sociale (UES) Mondadori de ses magazines de presse à la société Reworld Media. Cette opération concernait 697 salariés, dont 330 journalistes permanents et 200 pigistes.

Silence radio lors de la consultation sur les orientations stratégiques

La consultation sur les orientations stratégiques de l'entreprise a lieu une fois par an sauf si un accord prévoit une périodicité inférieure (2 ou 3 ans). Les orientations sont définies au préalable par l'organe dirigeant de l'entreprise (conseil d'administration, conseil de surveillance…).

La présentation par l'entreprise de ses orientations stratégiques donne lieu à un avis du comité qui peut proposer des orientations alternatives.

À notre avis, même s'il est réticent à dévoiler sa stratégie préférentielle, l'employeur doit, selon nous, à minima, présenter un certain nombre d'hypothèses, même si celles-ci sont dépendantes du contexte économique. Et l'article L. 2312-36 du Code du travail précise qu'à défaut d'accord, les informations devant figurer dans la base de données économique et sociale (BDES) doivent porter sur les deux années précédentes et l'année en cours et intègrent des perspectives sur les trois années suivantes. En conséquence, sauf accord contraire, l'employeur est tenu de présenter les orientations stratégiques à horizon trois ans, quel que soit le niveau où elles sont définies (entreprise ou groupe).

Dans l'affaire Mondadori, on pouvait donc légitimement penser que si l'entreprise entendait vendre son pôle presse, elle se devait de l'évoquer lors de la consultation sur les orientations stratégiques dans la mesure où cela impacte précisément sa stratégie à court et long terme.

Or, il s'avère que l'employeur a remis aux membres du CSE une note d'information décrivant le contexte économique, les axes stratégiques et les projets stratégiques d'organisation pour 2018. Mais durant toute la consultation, l'employeur a contesté vouloir céder son pôle presse et avoir reçu une offre de reprise. À I’issue des débats, le CSE a émis un avis négatif à I’unanimité sur les orientations stratégiques 2018.

Un projet de cession soumis au CSE

Puis, en septembre 2018, une réunion ordinaire du CSE était organisée ayant notamment à l'ordre du jour le point suivant : « Point sur l'offre de reprise de Mondadori France par Reworld Media ». Lors de la réunion, la direction expliqua qu'elle était rentrée en négociation exclusive avec le potentiel repreneur, mais que cela ne signifiait pas que celui-ci avait présenté un projet de reprise.

Début 2019, devant les explications peu convaincantes reçues de la direction, les élus du CSE ont saisi le juge des référés du tribunal de grande instance de Nanterre aux fins d'ordonner à l'employeur d'organiser loyalement la consultation sur les orientations stratégiques 2019 et d'informer et consulter loyalement le CSE sur le projet de cession envisagé, sur le fondement de l'article L. 2312-8 du Code du travail.

Pour les élus en effet, au moment de la consultation du CSE sur les orientations stratégiques 2018, l'entreprise avait pris ou envisageait de prendre la décision d'arrêter ses activités de presse et c'est sciemment que ces projets ont été masqués aux élus pendant la consultation.

La consultation sur les orientations stratégiques devait être reprise

Les juges ont considéré que le projet de cession soumis à la procédure d'information-consultation préalable du comité social et économique aurait dû être précédé de la consultation sur les orientations stratégiques en raison de l'ampleur du projet de cession et du changement significatif de stratégie qu'il entraine par rapport aux orientations stratégiques précédemment présentées.

Il appartenait en conséquence à l'entreprise d'organiser l'information et la consultation sur les orientations stratégiques avant toute remise valable d'un avis sur le projet de cession puisqu'il y a eu dissimulation des véritables orientations stratégiques. En ne le faisant pas, l'employeur a commis, selon les juges, un détournement de pouvoir empêchant le comité d'exercer ses droits à recueillir des explications utiles et à faire des propositions alternatives. Cet abus de pouvoir affecte nécessairement la légalité de la procédure d'information et de consultation sur le projet de cession.

Le tribunal a en conséquence condamné la société à ouvrir la consultation sur les orientations stratégiques 2019 avant toute remise valable d'un avis sur le projet de cession et toute saisine régulière des autorités chargées de veiller à la concurrence, et ce dans les huit jours du prononcé du présent jugement, avec une astreinte de 50 000 € par jour de retard.

L'entreprise doit par ailleurs verser 10 000 € de dommages-intérêts au comité social et économique au motif que l'entreprise, en ayant d'ores et déjà présenté au CSE un projet de cession sur l'ensemble de la société avant toute consultation sur les orientations stratégiques, a causé un préjudice d'anticipation né et actuel au CSE en le privant d'exercer la plénitude de ses droits (TGI Nanterre, Pôle civil, 11 juil. 2019, n° 19102211, CSE de l'UES Mondadori Magazines France Elargie; dans le même état d'esprit : TGI Nanterre, réf, 28 mai 2018, n° 18/01187, CE Mobipel).

Des jurisprudences divergentes

Ce n'est pas la première fois que la justice est amenée à se prononcer sur la question de l'articulation entre la consultation sur les orientations stratégiques de l'entreprise et un projet ponctuel de l'employeur devant être soumis à la consultation préalable du comité.

Certains juges ont considéré qu'il ne peut être reproché à une société de ne pas avoir informé le comité lors de la consultation sur les orientations stratégiques d'un projet de réorganisation d'un service soumis trois mois plus tard à l'avis du comité. En l'espèce, il s'agissait d'un projet de réinternalisation de ressources informatiques qui avaient été délocalisées.

Il a été jugé que les élus du comité ne rapportaient pas la preuve de la déloyauté de l'employeur et que le chef d'entreprise n'avait pas, préalablement à la consultation ponctuelle du comité sur le projet en cause, à réitérer la consultation sur les orientations stratégiques (Appel Paris 3 mai 2018, Pôle 6 – Ch. 2, no 17/09307, CCE de la société Natixis SA).

En revanche, dans une affaire Coca-Cola, le TGI de Nanterre a suspendu la procédure de plan de sauvegarde de l'emploi (PSE) tant que la consultation sur les orientations stratégiques 2017 n'aura pas été achevée, ce sous astreinte de 10 000 € par infraction constatée.

Le tribunal juge que le comité central d'entreprise (CCE) de la SAS Coca-Cola Européen Partner (CCEP) ne dispose pas d'un accès aux données prévisionnelles chiffrées ou sous forme de grandes tendances que l'entreprise doit mettre à sa disposition dans le cadre de la consultation annuelle sur les orientations stratégiques.

En conséquence, l'entreprise a été condamné à établir et à mettre à disposition des membres du CCE, sous astreinte de 5 000 € par jour de retard, une base de données économiques et sociales conforme, comportant notamment les données prévisionnelles pour chaque rubrique des années 2017, 2018, 2019 » (TGI Nanterre, réf, 30 mai 2018, n° 18/00552, CCE de la Sté CCEP).

En conclusion, ce n'est pas le caractère plus ou moins proche des deux consultations qui doit être pris en compte, mais bien le caractère stratégique plus ou moins important de la décision patronale. Si le projet soumis au comité constitue bien un changement de stratégie ou une inflexion de celle-ci telle qu'elle a été présentée lors de la consultation sur les orientations stratégiques, cette dernière est réputée incomplète ou inexistante et doit être réitérée au moment où se décide précisément une nouvelle stratégie.

En savoir + : Le droit des comités sociaux et économiques et des comités de groupeM. Cohen et L. Milet. 14e édition. LGDJ 2019, n° 1403 et s.