Témoignages rendus anonymes : bonne ou mauvaise chose ?
La question des témoignages anonymes ou anonymisés est au cœur des débats jurisprudentiels actuels. En atteste cette affaire qui s'inscrit dans un contexte particulier où l'employeur apporte au dossier des preuves sous forme de tels témoignages (Cass. soc. 19 avr. 2023, n° 21-20.308).
Faits et procédure de l'affaire
Un salarié saisit le conseil de prud'hommes pour faire annuler une sanction disciplinaire de mise à pied de quinze jours à la suite de faits considérés comme graves par l'employeur. Le salarié aurait injurié, humilié des collègues de travail. Il obtient gain de cause. L'employeur forme alors un pourvoi devant la Cour de cassation, laquelle précise les conditions de recevabilité de ce genre de témoignage.
Les témoignages nominatifs, anonymes ou anonymisés, des preuves toutes recevables
Il existe un principe en droit de la procédure prud'homale, selon lequel la preuve est libre, sauf si la loi en décide autrement dans des domaines bien particuliers (Art. 1358 C. civ.). Ainsi, qu'ils soient nominatifs, anonymes ou anonymisés, les témoignages sont recevables en justice.
Alors pourquoi la question fait couler autant d'encre ? Rappelons quelques définitions.
Le témoignage nominatif est accompagné de l'identité (carte d'identité ou passeport) du témoin. Il s'agit de la modalité la plus courante des témoignages en justice (Art. 201 et 202 C. proc. civ.).
Les difficultés proviennent des témoignages anonymes et anonymisés. Il est anonyme lorsque l'identité du témoin n'est pas communiquée à l'employeur (Cass. soc. 4 juill. 2018, n° 17-18.241). Le témoignage anonymisé est celui qui est rendu anonyme a posteriori et dont l'identité est dévoilée à l'employeur, comme dans l'affaire ici présente (Cass. soc. 19 avr. 2023, n° 21-20.308). Dans les deux cas, l'une des parties ignore l'identité du témoin.
C'est en cela que ces deux formes de témoignage posent problème.
Les droits de la défense possiblement entravés
Généralement lorsqu'une personne est « accusée » par une autre en justice, elle doit être en mesure de pouvoir se défendre dans de bonnes conditions. Pour ce faire, elle doit connaître ce qui lui est reproché et d'où proviennent les éléments à charge contre elle dans le dossier. Or, le témoignage anonyme ou anonymisé peut constituer une entrave aux droits du défendeur. Il est en effet difficile d'organiser la plaidoirie lorsqu'un accusateur est inconnu. Cela remet nécessairement en cause le droit à un procès équitable et par conséquent les droits de la défense.
Le témoignage anonyme ou anonymisé associé à d'autres éléments convergents pour garantir l'équilibre des droits
Ainsi, tout en étant recevable en justice le témoignage anonyme ou anonymisé ne peut être à lui seul une preuve absolue. C'est la position constante de la Cour de cassation qui rappelle que le juge ne peut fonder sa décision uniquement ou de manière déterminante sur des témoignages anonymes (Cass. soc. 4 juill. 2018, n° 17-18.241). Même raisonnement dans notre affaire s'agissant cette fois-ci d'une attestation anonymisée a posteriori par l'employeur (Cass. soc. 19 avr. 2023, n° 21-20.308) : « Si le juge ne peut fonder sa décision uniquement ou de manière déterminante sur des témoignages anonymes, il peut néanmoins prendre en considération des témoignages anonymisés, c’est-à-dire rendus anonymes a posteriori […] lorsque ceux-ci sont corroborés par d’autres éléments permettant d’en analyser la crédibilité et la pertinence ».
Le juge opère un juste équilibre entre plusieurs principes desquels peuvent parfois émerger des droits antagonistes. Sa décision est prise en combinant les principes de la liberté de la preuve en matière prud'homale et celui du droit à un procès équitable – issu de l'article 6 paragraphe 1 et 3 de la convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
Des témoins qu'il faut protéger !
Le témoignage anonymisé trouve sa raison d'être dans la protection du témoin. Le juge peut prendre en compte les témoignages anonymisés « afin de protéger leurs auteurs mais dont l'identité est néanmoins connue par l'employeur ». Il est donc indispensable de s'interroger sur l'utilité de garder l'identité du témoin secrète. Les éventuelles représailles de la part des autres collègues envers le témoin apparaissent dans notre affaire comme un motif valable d'y recourir.
Pour autant, rien n'est dit sur le contrôle que doit exercer le juge sur le motif sérieux et légitime de recourir à une attestation anonyme. Il serait opportun que la Cour de cassation se prononce sur ce point afin de ne pas laisser la question à la seule appréciation de l'employeur.