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SYNDICATSAction en justice
SYNDICATSAction en justice

Quelles preuves recevables ?

Publié le 21 novembre 2016
Modifié le 9 janvier 2017
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Un syndicat peut-il produire en justice des documents accessibles aux délégués du personnel dans le cadre de leur droit de consultation ? Ou des documents comportant des mentions individuelles et privées, comme des bulletins de salaire ? Réponse avec un arrêt de la Cour de cassation du 9 novembre.

La Halle aux chaussures, André, Chaussland, Minelli, Kookaï, Chevignon, Naf-Naf… toutes ces enseignes, comme tant d'autres, appartiennent à un seul et même groupe : Vivarte. Un des leaders français dans la distribution de prêt-à-porter et de chaussures, pour lequel travaillent 1 700 salariés. De là à se croire au-dessus des lois… il n'y a qu'un pas. Condamné pour ouverture illégale le dimanche, ce géant du textile a cru pouvoir ignorer la décision des juges. Avec une conséquence inattendue : une jurisprudence inédite en faveur des syndicats relative au droit à la preuve (Cass. Soc. 9 novembre 2016, n° 15-10203, Sté Cie européenne de la chaussure).

Une décision de justice non respectée

En 2010, Vivarte fait l'objet d'une première condamnation. À la demande d'un syndicat, la société se voit contrainte de fermer ses magasins le dimanche, faute d'avoir obtenu les autorisations administratives nécessaires. Trente-huit établissements situés en région parisienne sont concernés. Cette décision, prononcée par le juge des référés, est assortie d'une astreinte de 20 000 euros par infraction constatée, c'est-à-dire par dimanche et par établissement.

Mais Vivarte passe outre et continue d'ouvrir ses enseignes le dimanche. De nouveau, le syndicat saisit le juge des référés pour voir constater ces infractions, obtenir la liquidation de l'astreinte et des dommages et intérêts.

Des preuves, nombreuses et irréfutables…

À l'appui de sa demande, le syndicat fournit de nombreuses preuves. Il s'agit, pour l'essentiel, de documents photographiés par les délégués du personnel, auxquels ils ont eu accès dans le cadre de leurs fonctions :

  • documents de décompte des horaires de travail des salariés (obligatoire, en application de l'article L. 3171-2 du Code du travail, lorsque les salariés d'un même service ou d'un même atelier ne travaillent pas selon le même horaire collectif) ;
  • contrats de travail ;
  • bulletins de salaire de salariés (faisant apparaître l'existence d'heures de travail le dimanche) ;
  • des lettres de salariés se portant volontaires pour travailler le dimanche.

… rejetées en appel…

Contre toute attente, la Cour d'appel de Versailles déboute le syndicat de ses demandes. Selon les juges versaillais, les éléments de preuve présentés, obtenus de manière illicite, ne sont pas susceptibles d'établir la réalité des infractions alléguées. Deux arguments sont avancés :

  • Sur les décomptes des horaires de travail des salariés :

Le droit, pour les délégués du personnel, de consulter ces documents en application de l'article L. 3171-2 du Code du travail n'implique pas qu'ils puissent se les approprier en les photographiant. Ces documents appartiennent à l'entreprise.

  • Sur les contrats de travail, avenants, bulletins de salaire et lettres de salariés se portant volontaires pour travailler le dimanche :

Les photos ont été prises par une déléguée du personnel sans que soit justifié de l'accord des salariés, nécessaire dans la mesure où ces documents contiennent des données personnelles.

… mais admises en Cassation

La Cour de cassation balaie ces arguments et admet la recevabilité des preuves présentées par le syndicat. Selon la haute Cour, l'article L. 3171-2 du Code du travail, qui autorise les délégués du personnel à consulter les documents nécessaires au décompte de la durée de travail, n'interdit pas à un syndicat de produire ces documents en justice. Par ailleurs, le droit à la preuve peut justifier la production d'éléments portant atteinte à la vie personnelle d'un salarié à la condition que cette production soit nécessaire à l'exercice de ce droit et que l'atteinte soit proportionnée au but poursuivi.

Or, dans cette affaire, un délégué du personnel avait recueilli les documents litigieux dans l'exercice de ses fonctions de représentation afin de vérifier si la société respectait la règle du repos dominical et se conformait à l'ordonnance de référé rendue en 2010. La production de ces documents ne portait donc pas une atteinte disproportionnée au droit au respect de la vie personnelle des salariés, compte tenu du but poursuivi. Une solution qui se justifie pleinement : il faut permettre aux syndicats d'exercer, de manière effective, la mission de défense des droits et intérêts des salariés dont ils sont investis.

Primauté à la défense des droits des salariés

Cet arrêt de la Cour de cassation présente un double intérêt. D'une part, il affirme qu'un syndicat peut produire en justice des documents auxquels ont accès les délégués du personnel dans le cadre de leurs fonctions. D'autre part, il apporte une solution au problème de la production en justice de certaines preuves qui pourraient porter atteinte à la vie personnelle des salariés.

Dans cette hypothèse, les juges doivent exercer un contrôle de proportionnalité entre cette atteinte – qui reste à démontrer – et le « droit à la preuve », corollaire du droit à un procès équitable (art. 6 de la Convention de sauvegarde des Droits de l'Homme et des Libertés fondamentales). Toute partie à un procès doit en effet se voir offrir une possibilité raisonnable de présenter sa cause, y compris ses preuves.