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DROITS ET LIBERTÉS DANS L'ENTREPRISE
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Peut-on traiter son employeur d’esclavagiste ?

Publié le 3 février 2022
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Oui, répond la Cour de cassation, quand ces propos outranciers dénoncent, lors d'un conflit du travail, les méthodes autoritaristes et racistes d'un directeur et ne visent pas son origine.

L'affaire commence en Guyane en 2015. Des agents pénitentiaires manifestent pour dénoncer les méthodes de gestion du directeur de la prison. Ils arborent des banderoles le qualifiant de « gouverneur » et revendiquent « Oui au Code civil, non au Code noir », ou encore « Non à la négrophobie ». Ils se fendent d'une scène typiquement carnavalesque : un agent, casque colonial sur la tête, en fouette un autre qui représente l'esclave ployant sous les chaînes et lui assène « C'est l'administration qui te nourrit ». Des propos que le directeur aurait précédemment tenus à un agent pénitentiaire.

Ceci ne fut pas du goût du directeur, qui portât plainte. Les deux agents furent mis en examen pour injures raciales mais relaxés par le tribunal, puis par la cour d'appel de Cayenne. Ceci ne fut pas du goût non plus du procureur général, car c'est lui qui saisit alors la Cour de cassation. Ne lui en déplaise, la Cour vient de confirmer la relaxe en affirmant le droit des salariés à dénoncer le racisme d'un directeur (Cass. crim. 19 oct. 2021, n°20-86559).

Dénoncer le racisme n'est pas une injure raciale

La liberté d'expression ne s'arrête pas aux portes de l'entreprise. Le salarié, tout subordonné qu'il soit, conserve cette liberté fondamentale (Art. 11 de la DDHC de 1789 et art. 10 de la CEDH). Seul l'abus est sanctionnable, en particulier si le salarié tient des propos injurieux ou diffamatoires. Outre la sanction disciplinaire, il s'expose alors à la répression pénale de ces infractions, qui sera d'autant plus sévère si elles sont qualifiées de racistes.

À savoirL'injure se définit comme « toute expression outrageante, termes de mépris ou invective qui ne renferme l’imputation d’aucun fait », et la diffamation comme « toute allégation ou imputation d’un fait qui porte atteinte à l’honneur ou à la considération de la personne ou du corps auquel le fait est imputé ».
Ce sont des infractions réprimées plus ou moins sévèrement selon qu'elles soient publiques (ce sont alors des délits) ou non publiques (ce sont de simples contraventions de 1ère classe).
Dans tous les cas, les peines sont plus sévères en cas d'injure ou de diffamation raciste, sexiste, homophobe ou handiphobe, allant jusqu'à un an d'emprisonnement et/ou 45 000 euros d'amende.
Voir art. 29, 32 et 33 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse et art. R. 621-1 et 2, R. 625-8 et R. 625-8-1 du Code pénal.

Mais dans l'affaire guyanaise, la Cour de cassation écarte la qualification d'injure raciste jugeant que les propos poursuivis ne visaient pas le directeur en tant que personne d'origine européenne, mais en tant que dirigeant aux méthodes de gestion critiquables selon les manifestants. Ces derniers dénonçaient en effet « une ethnicisation de l'organisation du travail et un comportement néocolonialiste envers les surveillants d'origine non européenne ». Or, dénoncer le racisme n'est pas une injure raciale.

La tolérance jurisprudentielle pour la polémique syndicale

La Cour reconnaît cependant le caractère offensant des propos. Mais elle ne les sanctionne pas, estimant que la notion d'esclavagisme peut être invoquée, notamment par l'utilisation d'une caricature faisant référence au passé esclavagiste de la France, dans le cadre de conflits de travail. Elle confirme ainsi une certaine tolérance jurisprudentielle pour la polémique syndicale, considérée comme un mode d'expression inhérent à l'exercice d'un contre-pouvoir. Sera-t-elle accusée par des esprits malveillants de sombrer dans le « wokisme » ?

À savoir Les juges tiennent compte des éventuelles tensions sociales dans lesquelles la communication s'inscrit et estiment que « le langage syndical justifie la tolérance de certains excès, à la mesure des tensions nées de conflits sociaux ou de la violence qui sous-tend parfois les relations de travail ». Cependant, attention, la polémique syndicale peut être réprimée quand elle est jugée excessive, telle cette caricature d'un « chef surmené » dont la diffusion a été condamnée car elle contenait des attaques personnelles et excédait les « limites admissibles d'une polémique née d'un conflit social » (Cass. crim. 23 nov. 1993, n°90-86396), ou encore ces propos jugés injurieux « pôvre vieux », « givré », « plus barge que ça tu meurs », « dingue doublé d’un sadique » (Cass. crim. 10 mai 2005, n°04-84705).

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