Peut-on interdire la désignation d’un délégué syndical dans un établissement sans CSE ?
Selon l'article L. 2143-3 du Code du travail, la désignation d’un délégué syndical peut intervenir au sein d'un établissement dès lors que celui-ci regroupe des salariés placés sous la direction d’un représentant de l'employeur et qui constituent une communauté de travail ayant des intérêts propres, susceptibles de générer des revendications communes et spécifiques. Cet article permet de conférer un caractère distinct à un établissement dans une entreprise à établissements multiples et d'y désigner un ou des délégués syndicaux.
De son côté, l'article L. 2313-2 du Code du travail permet à un accord d’entreprise majoritaire (sans possibilité de référendum) de déterminer le nombre et le périmètre des établissements distincts pour y implanter des comités sociaux et économiques d'établissement. L'accord est libre de retenir plusieurs critères, mais celui qui est déterminant est l’autonomie de gestion du chef d'établissement, notamment en matière de gestion du personnel et d'exécution du service (notamment Cass. soc. 9 juin 2021, n° 19-23153). L'article L. 2313-4 du Code du travail fait de l'autonomie de gestion du responsable de l'établissement, notamment en matière de gestion du personnel, le seul critère si, en l'absence d'accord, l'employeur fixe unilatéralement le nombre et le périmètre des établissements distincts.
Un accord collectif confondant les périmètres
Certains négociateurs d'accords collectifs de mise en place des CSE confondent parfois les deux périmètres pour n'autoriser la désignation des délégués syndicaux que sur le périmètre retenu pour l'élection du CSE, ce qui réduit le nombre de délégués syndicaux pouvant être désignés, tout en les éloignant de la collectivité des salariés qu'ils sont censés représenter.
C'est ce qui s'est passé aux Galeries Lafayette, où un accord collectif a été conclu avec l’ensemble des organisations syndicales représentatives, en prévoyant notamment l’existence de vingt-cinq établissements distincts pour la mise en place des CSE. Quelques mois plus tard, l’union syndicale CGT Commerce et services a désigné un salarié en qualité de délégué syndical au sein d'un magasin dont le caractère distinct n'avait pas été retenu par l'accord en invoquant les dispositions de l'article L. 2143-3 du Code du travail.
Selon le syndicat, cette désignation était légale puisque les critères exigés par la loi étaient réunis. L'employeur a alors contesté cette désignation devant le tribunal judiciaire. Dans le même temps, il s'est empressé de signer avec les syndicats signataires de l'accord un avenant à celui-ci précisant que « les établissements distincts consacrés dans le cadre du présent accord […] ont été déterminés conventionnellement pour servir à l’identique de périmètre d’élection du comité social et économique et de désignation de tous les représentants syndicaux ».
Le tribunal judiciaire a débouté l'employeur et confirmé la désignation du délégué au motif que l'accord et son avenant ne pouvaient faire échec aux dispositions d'ordre public contenues dans l'article L. 2143-3. Amenée à statuer, la Cour de cassation a confirmé que le juge n'était pas tenu par le découpage conventionnel. Selon la Cour, les dispositions de l’article L. 2143-3 du Code du travail, même si elles n’ouvrent qu’une faculté aux organisations syndicales représentatives, sont d’ordre public quant au périmètre de désignation des délégués syndicaux.
Il s’ensuit qu'aucun accord collectif ne peut priver un syndicat du droit de désigner un délégué syndical au niveau d’un établissement dès lors que les critères exigés par cet article sont remplis (Cass. soc. 2 mars 2022, n° 20-19286 [PDF]).