Norwegian Air : l'impunité patronale à un niveau stratosphérique
271. C'est le nombre de salariés licenciés suite à la liquidation judiciaire d'un établissement français de l'entreprise aérienne « Norvegian Air Resources Limites » (NARL). Le 12 mai 2022, la Cour administrative d'appel de Paris a confirmé cette pratique délétère pour les travailleurs.
Un groupe à échelle internationale
La succursale française, objet du litige, est une succursale de la société irlandaise NARL. La NARL est elle-même une société établie en Irlande, filiale du groupe Norwegian, basé en Norvège et société-mère.
Le 1er mars 2021, la justice irlandaise place la société NARL en liquidation judiciaire. Le 6 mai 2021, le Tribunal de commerce de Bobigny ouvre une procédure de liquidation judiciaire de la succursale française. Le 25 mai 2011, le directeur régional et interdépartemental de l'économie, de l'emploi, du travail et des solidarités d'Ile-de-France (Dreets) homologue le plan de sauvegarde de l'emploi (PSE) établi par le liquidateur judiciaire entrainant la suppression des 271 emplois. Les salariés licenciés décident donc de saisir collectivement la justice administrative en vue de contester la validation du PSE par l'inspection du travail au motif que les difficultés économiques allouées par l'entreprise irlandaise ne sont pas justifiées.
Le 12 mai 2022, la Cour administrative d'appel de Paris rejette les demandes des salariés au motif que le PSE est proportionnel au regard de l'appartenance de l'entreprise au groupe norvégien (CAA Paris, 12 mai 2022, n°22PA00811).
Une décision aux conséquences néfastes
Cette prise de position des juges d'appel risque de légitimer des comportements désastreux pour les travailleurs.
À savoir :Le tribunal administratif de Montreuil avait en effet justifié l'annulation de la décision d'homologation du PSE de l'inspection du travail au motif que la société NARL se bornait à baser son impossibilité de reclassement et d'aide financière sur sa mise en liquidation judiciaire et que les rares éléments financiers communiqués aux représentants du personnel au CSE étaient insuffisants pour valider le PSE prévoyant la suppression des 271 emplois.
En premier lieu, le PSE a été validé sans une appréciation claire des juges. En effet, divers éléments laissent présager une interprétation différente des juges d’appel. D'une part, le plan social ne comprenait aucune mesure d'accompagnement des salariés mais se contentait de dispositifs classiques (contrat de sécurisation professionnelle ; aides publiques à la création d'entreprise). De la même manière, les indemnités de rupture et aides sont exclusivement assurées par des organismes français sans aucune participation de l'entreprise irlandaise ou de la société mère. D'autre part, les documents transmis aux représentant du personnel, en amont du licenciement, n'indiquaient rien sur la situation financière de la succursale, de l'entreprise et de la société-mère. Enfin, ces constatations avaient justement poussé le Tribunal de Montreuil à annuler l'autorisation du PSE en première instance (TA Montreuil, 27 déc. 2021, n°2113571).
Néanmoins, cette première analyse n'a pour autant pas empêché la Cour administrative d'appel de Paris de sanctionner cette prise de position alors même que la société mère ouvrait une autre succursale en Norvège.
En second lieu, cette décision illustre l'impuissance du droit du travail français pour contrer ces stratégies patronales d'optimisation des profits. Anciennement, la jurisprudence levait à raison la barrière des frontières internationales pour établir un contrôle cohérent de la santé économique d'un groupe (Cass. soc. 12 juin 2001, n°99-41.571).
Ainsi, des entreprises en difficultés économiques réelles ou supposées, peuvent néanmoins appartenir à un groupe international qui se porte bien économiquement. De fait, l'appréciation des licenciements économiques est totalement faussée au regard du périmètre de cette appréciation et plus généralement au regard du monde actuel, mondialisé dans lequel le patronat excelle pour optimiser ses profits.
Au vu de l'importance de l'affaire et des deux avis contradictoires rendues en première et seconde instance, mieux vaut rester prudent et attendre un futur jugement du Conseil d’Etat sur une question aussi épineuse.