Mon entreprise déménage, suis-je obligé.e de suivre ?
Pour les salariés, un déménagement d'entreprise peut être lourd de conséquences : temps de trajet allongé, réorganisation de la vie personnelle et familiale, fatigue supplémentaire… Pour autant, leur accord est-il nécessaire ? Le comité social et économique (CSE) doit-il être consulté ? Quel rôle peut jouer le syndicat ? Tour d'horizon des règles applicables.
Déménagement dans le même secteur géographique
Lorsque le déménagement de l'entreprise a lieu dans le même secteur géographique, l'employeur peut l'imposer aux salariés. Problème, la notion de secteur géographique n'est pas précisément définie en droit du travail. Elle ne recoupe pas les frontières administratives telles que la commune, le département ou la région, et il n'existe pas de distance maximale prédéfinie. En cas de litige, le juge délimite le secteur géographique grâce aux éléments suivants (Cass. soc. 7 juil. 2016, n° 15-15.342) :
– la distance entre l’ancien et le nouveau lieu de travail ;
– l'existence d'un bassin d'emploi ou d'une zone urbaine ;
– la durée supplémentaire de trajet induite par le déménagement de l'entreprise, évaluée en fonction des moyens de transport : état des routes, existence de trains, de bus, etc.
Exemple : une mutation peut être imposée à un salarié au motif que le nouveau lieu de travail, situé à 70 km de l'ancien, se situe « dans le même bassin d'emploi » (Cass. soc. 23 mai 2013, no 12-15.461).
À l'inverse, un déménagement de l'entreprise hors du secteur géographique d'implantation nécessite, en principe, l'accord des salariés concernés. Il peut toutefois en aller autrement en application d'une clause de mobilité.
Salarié assujetti à une clause de mobilité
Si le déménagement de l'entreprise a lieu dans la zone géographique prévue par la clause de mobilité, le salarié n'a pas son mot à dire ; l'employeur est en droit de l'imposer. Il faut toutefois vérifier que la clause de mobilité est bien licite, de même que ses conditions de mise en œuvre.
En revanche, si l'entreprise déménage hors de la zone fixée par la clause (et hors du secteur géographique d'implantation, voir ci-dessus), alors le salarié peut refuser sa mutation au motif qu'il s'agit d'une modification de son contrat de travail. Il en est de même lorsque le déménagement de l'entreprise entraîne une modification de la rémunération perçue ou de la durée de travail effectuée. Ces éléments étant contractuels, l'employeur ne peut les modifier sans l'accord du salarié.
Représentants du personnel : quel rôle ?
Le Code du travail ne vise pas expressément le déménagement de l'entreprise parmi les cas de consultations obligatoires du CSE. Toutefois, il s'agit bien d'un « aménagement important modifiant les conditions de travail, de santé et de sécurité des salariés » nécessitant une consultation, tout particulièrement lorsque les locaux se situent dans un autre secteur géographique (art. L. 2312-8 C. trav. ; Cass. Soc. 30 juin 2010, n° 09-13.640). Cette consultation doit intervenir avant la dénonciation du bail par l'entreprise et la conclusion d'un nouveau bail pour les nouveaux locaux ; à défaut de quoi il y a délit d'entrave (Cass. crim. 15 mars 2016, n° 14-85.078).
Dans le cadre de cette consultation, le CSE doit être informé de l'intérêt économique pour l'entreprise du déménagement et de ses conséquences, tant financières qu'en termes de conditions de travail. Il peut recourir à un expert avant de donner son avis (art. L. 2315-94 C. trav.). Il peut aussi demander à être informé des conséquences environnementales du projet de déménagement (émissions de CO2, achat de nouveaux mobiliers et équipements, traitement des déchets, etc.) (art. L. 2312-8 C. trav.). À défaut pour l'employeur de communiquer ces éléments, le CSE peut obtenir du juge une prolongation du délai de consultation (TJ Nantes, 22 déc. 2022, n° 2201144).
Autre champ d'intervention, pour les syndicats : la négociation de mesures d'accompagnement au bénéfice des salariés. Par exemple, lorsque ces derniers doivent changer de résidence, des aides financières, des jours d'absence rémunérés, des mesures favorisant le télétravail, etc.
Accord de performance collective (APC) : attention danger !
Un accord de performance collective (APC) peut déterminer « les conditions de la mobilité […] géographique interne à l’entreprise » (art. L. 2254-2 C. trav.). Outil de mobilité redoutable, l'APC permet à l'employeur de procéder à des transferts de salariés d'un établissement à l'autre, peu importe la distance entre le nouveau et l'ancien lieu de travail. La notion de secteur géographique n'entre pas en ligne de compte. L'APC s'impose à tous, quelles que soient les clauses du contrat de travail (mobilité, sédentarité…).
Quelles conséquences pour ceux qui refusent ? L'employeur peut engager une procédure de licenciement pour motif personnel. Sont donc exclues les règles spécifiques du licenciement économique (droit au reclassement, au contrat de sécurisation professionnelle, priorité de réembauche, etc.).
Deux limites sont toutefois opposables aux employeurs.
→ Compenser les licenciements par des embauches
L'application d'un accord de performance collective ne peut conduire à des suppressions de postes. L'employeur doit remplacer les salariés licenciés par de nouveaux embauchés. Dans une affaire récemment portée devant les juges, un APC avait été conclu pour fermer deux établissements et regrouper les salariés sur un site unique. Certains avaient été licenciés suite à leur refus, sans être remplacés. L'APC ayant été annulé par le juge, ils peuvent aujourd'hui prétendre à une indemnisation pour licenciement sans cause réelle et sérieuse (Appel Nancy, 6 févr. 2023, n° RG 2103031).
→ Fermeture de site sous conditions
Cette seconde limite est fixée par le ministère du Travail : un APC ne peut pas être conclu pour fermer un site lorsque les conditions de reclassement proposées aux salariés présentent des caractéristiques telles qu'un refus de la très grande majorité peut être anticipé, avec un degré de certitude élevé (cas de mutations proposées sur des postes éloignés) (Questions / réponses sur l'APC, juillet 2020).