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Le travail de nuit recadré par les juges

Publié le 28 novembre 2016
Par

Affaire Sephora. L'enseigne, spécialisée 
dans la vente de parfums et de cosmétiques, vient 
d'être rappelée à l'ordre par la cour d'appel de Paris. 
Seuls certains impératifs, économiques ou sociaux, 
peuvent justifier le recours au travail de nuit. Retour 
sur un procès emblématique.
Un commerce de parfumerie n’offre pas de services d’utilité sociale

Tout travail effectué après 21 heures et avant 6 heures est considéré, en principe, comme du travail de nuit (Art. L. 3122-29 alinéa 1 du Code du travail ; une autre période peut toutefois, à certaines conditions, lui être substituée – art. L. 3122-29). Néfaste pour les salariés (voir l'encadré), le recours au travail de nuit est encadré par la loi (Art. L. 3122-32 et suivants du Code 
du travail). Il faut ainsi justifier des deux conditions suivantes pour y avoir recours :
=> la nécessité d'assurer la continuité d'une activité économique ou d'un service d'utilité sociale : c'est la caractéristique essentielle du travail de nuit, il ne peut être mis en place que pour assurer le maintien de certains services essentiels à la population (hôpitaux, transports, sécurité, etc.) ou, dans certains secteurs industriels, lorsque le processus de production ne peut s'interrompre ;
=> si cette première condition est vérifiée, et seulement dans ce cas, un accord collectif (de branche étendu, d'entreprise ou d'établissement) doit être conclu. À défaut, l'obtention d'une autorisation de l'inspection du travail est possible à certaines conditions (Art. L. 3122-36 du Code du travail).
Le 23 septembre dernier, la société Sephora, propriété du groupe LVMH, a été condamnée par la cour d'appel de Paris pour recours illégal au travail de nuit (Appel Paris 23 sept. 2013, n° 12/23124, union locale CGT du commerce, de la distribution et des services de Paris et autres 
c/SA Sephora. La société Sephora s'est pourvue en cassation). L'enseigne (vente de parfums et de cosmétiques), ouvrait les portes de son magasin des Champs-Élysées jusqu'à minuit en semaine, jusqu'à 1 heure du matin les vendredis et samedis.

Un contexte particulier
À l'initiative du procès, le collectif Clic-P, comme Comité de liaison intersyndical du commerce de Paris, lequel regroupe aujourd'hui la CGT, la CFDT, la CFTC, la CGC et Sud (FO étant partie il y a quelques semaines). Grâce à lui, de nombreuses enseignes ouvertes illégalement la nuit ou le dimanche ont dû baisser le rideau : Monoprix, les Galeries Lafayette, le BHV, Uniqlo, ou encore Apple. Et donc Sephora.
En 2012, l'enseigne est condamnée par le TGI de Paris, saisi en référé, pour non-respect du repos dominical (établissement de Bercy Village dans le 12e arrondissement). Mais le tribunal se déclare incompétent sur la question du travail de nuit pratiqué dans l'établissement de l'avenue des Champs-Élysées. Le collectif Clip-P fait appel de cette décision. Et obtient gain de cause. En pleine offensive patronale et médiatique pour une déréglementation de l'ouverture des commerces (la nuit, le dimanche), la cour d'appel de Paris rappelle ce principe de droit, fondamental : le travail de nuit doit rester exceptionnel et être justifié par des impératifs de nature économique (assurer la continuité d'une activité) ou d'utilité sociale. Sephora est donc condamnée à fermer son magasin dès 21 heures et doit cesser d'employer des salariés en heures de nuit.

Les conditions de recours 
au travail de nuit
L'
article L. 3122-32 du Code du travail fixe les conditions de recours au travail de nuit : « Le recours au travail de nuit est exceptionnel. Il prend en compte les impératifs de protection de la santé et de la sécurité des travailleurs et est justifié par la nécessité d'assurer la continuité de l'activité économique ou des services d'utilité sociale. »
Dans l'affaire Sephora, la direction a vainement tenté de faire valoir que les conditions posées par ce texte étaient réunies. Quelques exemples d'arguments jugés irrecevables :
=> « à peine » une centaine des 4 100 salariés du réseau commercial de l'enseigne étaient embauchés après 21 heures, ce qui était censé montrer le caractère exceptionnel du recours au travail de nuit ;
=> étaient également invoquées les « contraintes de fonctionnement » du magasin des Champs-Élysées (sans que l'on sache précisément lesquelles) ;
=> ou encore : l'ouverture de ce magasin la nuit aurait constitué un facteur de développement de l'activité touristique à Paris ;
=> enfin, les impératifs de santé et de sécurité des salariés étaient pris en compte : travail effectué sur la base du volontariat, contreparties en termes de salaire et repos compensateur, salariés raccompagnés en taxi à leur domicile à partir de minuit, suivi médical, etc.
Mais ces allégations ne répondaient pas à la condition première posée par la loi : en quoi l'ouverture la nuit d'un commerce proposant la vente de parfums et cosmétiques répond-elle à une nécessité au sens de l'
article L. 3122-32 du Code du travail ? Pour les juges, les conditions d'application de cet article n'étaient pas réunies :
=> si les contreparties et mesures d'accompagnement accordées permettent de répondre aux impératifs de protection de santé et de sécurité des travailleurs de nuit, elles ne constituent pas la condition première de la mise en place du travail de nuit, qui est la nécessité d'assurer la continuité de l'activité économique. Ne constitue pas une telle nécessité l'attraction commerciale liée à l'ouverture de nuit d'un commerce qui n'offre pas de services d'utilité sociale ;
=> le caractère exceptionnel du travail de nuit ne s'apprécie pas par rapport aux effectifs de l'entreprise ; peu importe, donc, le nombre de salariés concernés. Ce caractère « exceptionnel » s'apprécie « au regard du secteur d'activité pour lequel le travail de nuit est inhérent ou pour lequel il n'existe pas d'autres possibilités d'aménagement du temps de travail, ce qui n'est pas le cas des commerces de parfumerie, comme celui de la société Sephora, laquelle n'établit pas que les difficultés de livraison alléguées nécessitent que son établissement soit ouvert à la clientèle de nuit et qu'il soit dérogé au mode d'organisation normale du travail de son personnel » ;
=> enfin, un employeur ne peut se prévaloir du souhait de certains de ses salariés de travailler de nuit pour déroger aux dispositions protectrices et d'ordre public du Code du travail.
Conclusion : constitue un trouble manifestement illicite justifiant l'intervention du juge des référés l'ouverture du magasin Sephora des Champs-Élysées après 21 heures. Pour faire cesser ce trouble, il est fait interdiction à la société Sephora de recourir au travail de nuit sous astreinte de 80 000 euros par infraction constatée.

BHV, Galeries Lafayette… 
mêmes causes, mêmes effets
En 2012, le collectif Clip-P avait déjà obtenu la condamnation du BHV et des Galeries Lafayette pour recours illégal au travail de nuit. Des arguments similaires avaient été présentés par ces enseignes en faveur du travail de nuit, tous retoqués par les juges.

Affaire du BHV
Les syndicats et salariés contestaient la décision de la direction d'ouvrir deux de ses magasins jusqu'à minuit le premier jour des soldes d'été. Même décidée à titre exceptionnel, cette ouverture tardive contrevenait aux dispositions légales sur le travail de nuit. Extrait du jugement, rendu, là encore, en référé : « Il n'apparaît pas sérieusement contestable que la perspective d'un profit exceptionnel réalisé à l'occasion des soldes et le souhait d'offrir à la clientèle une amplitude horaire plus importante ne caractérisent pas la nécessité d'assurer la continuité de l'activité économique de la société BHV. » Selon les juges, le non-respect des règles d'ordre public social relatives au travail de nuit, édictées dans l'intérêt des salariés, était constitutif d'un trouble manifestement illicite ; il a donc été fait interdiction à la société BHV de mettre en œuvre sa décision (TGI Paris, ord. de référé du 25 juin 2012, n° RG 12/54825, union syndicale CGT du commerce, de la distribution et des services de Paris c/BHV, RPDS 2012, n° 808, som. 097, p. 260).

Galeries Lafayette

Dans une note émise en juin 2012, l'enseigne avait annoncé qu'elle envisageait d'étendre l'ouverture du magasin d'Haussmann jusqu'à 21 heures – voire 22 heures certains jours – pendant toute une partie de l'été. Les arguments les plus farfelus étaient invoqués pour justifier ces nocturnes : les salons du prêt à porter parisiens, le ramadan, et même « l'affluence attendue de touristes qui transiteront par Paris pour rejoindre Londres à l'occasion de l'événement des JO d'été » !
L'employeur assurait par ailleurs que ces fermetures « retardées » seraient proposées exclusivement aux salariés volontaires avec « contreparties financières, pause et collation ». Mais il ne démontrait pas en quoi la vente de produits textiles ou d'articles de décoration était nécessaire à la continuité de l'entreprise, conformément aux exigences de l
'article L. 3122-32 du Code du travail. Les juges ont par ailleurs relevé l'absence de négociations avec les syndicats, pourtant obligatoires pour tout projet de d'ouverture exceptionnelle au-delà de 20 heures en application de la convention collective nationale des grands magasins (Article 7-8 de la CCN). Il a donc été fait injonction à l'entreprise de ne pas mettre son projet à exécution (TGI Paris, ord. de référé du 25 juin 2012, n° RG 12/54744, union syndicale CGT du commerce, de la distribution et des services 
de Paris et autres c/Sté Galeries Lafayette Haussmann.
un commerce de parfumerie n'offre pas 
de services d'utilité sociale).

Des astreintes dissuasives
Pour que les décisions de justice ne restent pas lettre morte, il est important que des astreintes suffisamment dissuasives – au regard du chiffre d'affaires escompté par l'employeur – soient prononcées par les juges. Ce qui a été le cas dans ces affaires : 300 000 euros pour le BHV, 100 000 euros pour les Galeries Lafayette et 80 000 euros pour Sephora. nx

Tableau

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Santé et sécurité au travail

Des conséquences néfastes pour les salariés

Toutes les études réalisées sur le travail de nuit montrent sa nocivité pour les salariés.

Trois exemples.

« Le travail prolongé de nuit présente des risques pour la santé des salariés et entraîne des perturbations de la vie sociale et familiale.

1. Effets sur la santé

À court terme, les principaux effets sur la santé du travail de nuit sont les troubles du sommeil, des troubles digestifs et un déséquilibre nutritionnel. À long terme, le travail prolongé et régulier de nuit a des effets néfastes sur la santé. Si certains de ces effets sont désormais bien établis (risques cardiovasculaires accrus, usure prématurée), d'autres, selon plusieurs études, sont probables, tels les risques de cancers.

2. Incidences sur les conditions de travail

Le travail de nuit se cumule souvent avec de nombreuses autres contraintes horaires (travail le dimanche notamment) ou organisationnelles, les salariés de nuit étant davantage exposés à des pénibilités physiques ou soumis à des situations d'isolement. On note aussi des déroulements de carrière et l'accès aux formations moins aisés.

3. Perturbations de la vie sociale et familiale
L'articulation entre travail et vie personnelle est rendue plus difficile en raison de la discordance entre ces horaires et les moments de disponibilités requis pour partager ses activités hors travail avec la famille et les amis. »

* Lire « Travail du dimanche, les Français trinquent », Libération du 1er octobre 2013


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