L’accord sur l’emploi écrase le contrat de travail
Le dispositif des accords de préservation ou de développement de l'emploi (APDE) modifie l'articulation entre accord collectif et contrat de travail. Normalement, conformément à l'article L. 2254-1 du Code du travail, l'accord collectif s'applique aux contrats de travail des salariés qu'il couvre, à l'exception des clauses contractuelles plus favorables.
Cette capacité de résistance du contrat de travail est remise en cause une fois encore. Les dispositions de l'APDE vont en effet s'imposer aux stipulations contractuelles même plus favorables. Seule rescapée : la rémunération mensuelle.
Clauses contractuelles écartées
Aux termes de l' article L. 2254-2, II du Code du travail, les stipulations de l'APDE se « substituent de plein droit aux clauses contraires et incompatibles du contrat de travail, y compris en matière de rémunération et de durée du travail ».
Un accord de préservation ou de développement de l'emploi peut augmenter la durée de travail, prévoir une certaine mobilité géographique, toucher à la rémunération en supprimant une partie de ses éléments. Il peut aussi répartir les horaires différemment, introduire de la modulation, etc.
Pour rappel, les accords de maintien de l'emploi se contentaient de suspendre temporairement les clauses contractuelles contraires.
Dans ce nouveau dispositif, les clauses contractuelles semblent évincées de manière irréversible car à aucun moment la loi n'envisage un rétablissement du contrat de travail. Toutefois, la loi ne l'exclut pas non plus expressément. Elle ne dit rien des droits contractuels une fois que l'accord cesse de s'appliquer.
Il est vrai qu'elle considère qu'une modification du contrat de travail résulte de l'application de l'accord, modification que les salariés doivent accepter par écrit. Mais peut-on admettre que les effets d'un accord collectif, forcément limités dans le temps puisque l'accord est obligatoirement conclu pour une durée déterminée (voir NVO.fr 1/02/2017), puissent être pérennisés par le biais des contrats de travail?
Sauf intégration au contrat des dispositions de l'accord, en quoi les salariés seraient-ils empêchés de se prévaloir de leurs droits contractuels une fois l'APDE arrivé à terme et non remplacé ? Selon nous, les organisations syndicales, parties à la négociation, pourraient prévoir des dispositions en ce sens, surtout si l'application de l'accord contribue à une embellie économique.
Rémunération mensuelle préservée
La signature d'un APDE ne peut pas avoir pour effet de diminuer la rémunération mensuelle du salarié (art. L. 2254-2, I al 4 nouveau du Code du travail).
La rémunération maintenue doit être définie par l'accord. Son montant ne peut pas être inférieur à la moyenne, sur les trois mois ayant précédé la signature de l'accord, de la rémunération versée au salarié. Il s'agit de la rémunération visée à l'article L. 242-1 du Code de la Sécurité sociale, donc soumise à cotisations sociales.
Dès lors que ce niveau de rémunération est préservé, l'accord peut modifier ou supprimer les modalités d'attribution, de calcul et de versement de tout ou partie des éléments de rémunération.
S'ils ne font pas l'objet de stipulations de l'accord, les éléments de rémunération qui sont versés selon une périodicité supérieure au mois, ainsi que le régime juridique, les modalités d'attribution, de calcul et de versement des éléments de rémunération, sont maintenus (art. D.2254-1 nouveau du Code du travail).
Au vu de ces précisions réglementaires, il paraît possible que :
- le salaire horaire soit réduit (effet du maintien de la rémunération moyenne combiné avec l'augmentation de la durée de travail) ;
- des éléments tels que les primes annuelles soient modifiés ou supprimés, dès lors que la rémunération moyenne des trois derniers mois n'est pas impactée.
Si le salarié refuse
Le salarié est « libre » de refuser la modification de son contrat de travail résultant de l'application de l'accord. Il doit le faire par écrit (art. L. 2254-2, II nouveau du Code du travail). Mais son opposition le conduit à la rupture du contrat de travail.
Suite à la signature de l'accord, l'employeur informe chaque salarié, par tout moyen permettant de dater l'information de manière sûre, de son droit d'accepter ou refuser l'application de l'accord. Il doit lui préciser qu'il dispose de un mois, à réception de cette information pour faire connaître sa décision. L'information est écrite, mais peut résulter d'un courrier RAR, d'un mail, d'un courrier remis en mains propres contre décharge, etc.
Le salarié doit donner sa réponse, également par tout moyen conférant date certaine. S'il ne le fait pas dans le délai de un mois, il est réputé avoir accepté (art. D. 2254-2 nouveau du Code du travail).
Licenciement sécurisé
Le refus du salarié l'expose fortement à la rupture de son contrat de travail. Dans ce cas, il s'agit d'un licenciement :
— individuel: Quel que soit le nombre de salariés récalcitrants, l'employeur n'est pas tenu de mettre en place un plan de sauvegarde de l'emploi, ce qui allège la procédure et les coûts ; la procédure est celle du licenciement individuel pour motif économique. C'est-à-dire : un entretien préalable, au cours duquel l'employeur informe le salarié des raisons de son licenciement et lui propose le dispositif d'accompagnement, une lettre de licenciement comportant l'énoncé du motif spécifique, l'application des règles relatives au préavis et à l'indemnité de licenciement, sauf adhésion au dispositif d'accompagnement.
— reposant sur une cause réelle et sérieuse: Une telle affirmation démontre que le motif est en quelque sorte préconstitué, l'objectif poursuivi étant de limiter le contrôle du juge.
— ayant un motif spécifique: Destiné à verrouiller les licenciements prononcés, la loi invente le « motif spécifique », qui n'est ni économique ni personnel. Selon l'exposé des motifs de la loi, « ce licenciement n'est pas inhérent à la personne du salarié. Il repose sur un motif réel et sérieux, lié aux nécessités de fonctionnement de l'entreprise ou du service, exigé par les besoins économiques, technologiques, structurels de cette dernière ».
Il devient très difficile pour les salariés de contester leur licenciement, sauf en cas de non-respect des règles de procédure.
Ce qui met la loi en porte-à-faux avec des conventions internationales ou européennes qui garantissent le droit des salariés de contester en justice un licenciement qu'ils estiment injustifié (par exemple, les articles 8 et 9 de la Convention OIT n° 158).
FO et la CGT ont saisi, sur ce point notamment, l'Organisation international du travail (voir communiqué de presse).