L’accord d’entreprise primerait toujours sur le contrat de travail
Le contrat de travail est un contrat déséquilibré par lequel le salarié se place sous la subordination de l'employeur moyennant une rémunération et un statut. La tentation est donc grande pour les chefs d'entreprise de définir à minima les dispositions de ce contrat lors de l'embauche. Pour autant, une fois le contrat de travail conclu, la modification de certains de ses éléments nécessite l'accord préalable du salarié. Ce n'est qu'à titre exceptionnel qu'une modification du contrat peut être imposée au salarié notamment si elle trouve son origine dans des accords collectifs dit de gestion de l'emploi ou d'aménagement du temps de travail. Le projet de loi sur les ordonnances entend généraliser ce qui est actuellement une exception : toute modification du contrat du salarié qui résulterait d'un accord collectif ne nécessiterait plus l'accord de celui-ci. Son refus le conduirait tout droit vers la porte avec des droits réduits et une impossibilité de contester le motif de la rupture.
Le droit pour le salarié de refuser la modification de son contrat
Il y a modification du contrat de travail lorsque l'un de ses éléments essentiel est modifié, à savoir, le salaire, la qualification, la durée du travail et parfois le secteur géographique s'agissant du lieu de travail. Il peut également y avoir modification du contrat en cas de modification des horaires, par exemple, passage d'un horaire de jour à un horaire de nuit (ou inversement), lorsque l'employeur porte atteinte de manière excessive à la vie personnelle et familiale du salarié ou à son droit au repos.
La modification du contrat ne peut être imposée au salarié. Si l'employeur impose une modification du contrat, le salarié peut prendre acte de la rupture ou demander la résiliation judiciaire de son contrat.
Si le salarié refuse la modification, l'employeur peut alors le licencier mais ce n'est pas le refus du salarié qui peut constituer la cause de la rupture. L'employeur doit justifier le licenciement du salarié par un autre motif : par exemple, un motif économique ; mais il doit alors respecter les droits du salarié attachés à un tel licenciement et notamment l'obligation de reclassement. Le salarié est donc en droit de contester ultérieurement la modification.
Ces principes étaient applicables quand bien même la modification résultait de l'application des dispositions d'un accord collectif.
Un principe affaiblit ces dernières années
Depuis environ une quinzaine d'année, le principe évoqué ci-dessus a été affaibli par différents textes dans des hypothèses où la modification du contrat de travail résulte de l'application des dispositions d'un accord collectif.
C'est ainsi que successivement a été admis :
– qu'un accord collectif prévoyant le passage aux 35 heures sans diminution de salaire pouvait être imposé au salarié ; la durée du travail était donc modifiée sans l'accord du salarié, mais dans un sens favorable pour lui car sans diminution de salaire (loi « Aubry II » de 2000) ;
– qu'un accord collectif prévoyant le passage aux 35 heures avec compensation salariale non intégrale, immédiate ou à terme, pouvait être imposé au salarié ; suite au refus du salarié de la modification, le licenciement ne reposait pas sur un motif économique et était soumis à la procédure de licenciement individuel (loi « Aubry II » de 2000) (art. L. 1222-8 du Code du travail) ;
– qu'un accord collectif mettant en place un dispositif d'aménagement du temps de travail sur une période de référence supérieure à une semaine ne constitue pas une modification du contrat pour les salariés à temps complet (loi « Warsmann » du 22 mars 2012, art. L. 3121-43 du Code du travail). Et cela même si cet aménagement est défavorable au salarié ;
– qu'un accord collectif de mobilité ou de maintien de l'emploi peut modifier le lieu de travail, la durée du travail, ou encore la rémunération du salarié sans son accord. Les accords de maintien de l'emploi ne pouvant être conclus qu'en cas de graves difficultés économiques (loi de « sécurisation de l'emploi » du 14 juin 2013 et art. L. 2242-17 et L. 5125-1 du Code du travail) ;
– qu'un accord collectif de développement ou de préservation de l'emploi diminuant la rémunération et/ou augmentant la durée du travail se substitue de plein droit aux clauses contraires et incompatibles du contrat de travail (loi travail du 8 août 2016 et art. L. 2254-2 du Code du travail). Ces accords peuvent être conclus même si l'entreprise ne connaît aucune difficulté économique.
Avec tous ces dispositifs, c'est le seul refus du salarié qui permet de justifier le licenciement. Dans les deux derniers cas, le licenciement du salarié qui refuse la modification est même réputé reposer sur une cause réelle et sérieuse ne permettant plus au salarié de le contester devant les juges.
Un projet d'ordonnance qui va encore plus loin
La loi d'habilitation adoptée en dernière lecture par l'Assemblée nationale autorise le Gouvernement à harmoniser et simplifier non seulement les conditions de recours et le contenu des accords évoqués ci-dessus. Mais il permet aussi aux ordonnances d'en faire de même pour le régime juridique de la rupture du contrat de travail en cas de refus par le salarié des modifications de son contrat. Ainsi, le licenciement du salarié reposerait sur un motif spécifique auquel ne s'appliqueraient pas les dispositions relatives aux licenciements collectifs pour motif économique. Pire : cette harmonisation concernerait tous les accords collectifs dès lors que leur application entraînerait une modification des contrats de travail. Les exceptions deviendraient donc la règle !
Dans une telle hypothèse, il est écrit que les salariés bénéficieraient d'un droit à la formation renforcée dont on ne sait rien.
Même si, à ce jour, le gouvernement ne donne pas plus de détails sur son projet, il apparaît clairement que l'ambition politique, sous couvert de lutte contre le chômage de masse, est de contraindre le salarié à devoir accepter tout changement de lieu de travail, de temps de travail et de rémunération, sans aucune possibilité de s'y opposer.