Interdit de faire des retenues sur salaire au titre des heures de délégation
Dans un arrêt récent (Cass. soc. 1er juin 2022, n°20-16836, Feu vert), la Cour de cassation affirme que la formation de référé prud'homal est compétente dès lors que des retenues sur salaire correspondent à des heures de délégation. En effet, il s'agit d'un trouble manifestement illicite, et, dans ce cas, le juge des référés peut agir, quand bien même l'employeur présente une contestation sérieuse.
Dans cette affaire, un salarié exerçait à temps complet différents mandats de représentant du personnel, internes et externes à l'entreprise. Au bout de cinq ans, son employeur lui demande de reprendre une activité professionnelle estimant que la durée de ses mandats ne couvre plus l'intégralité de son temps de travail. Il opère ensuite une retenue sur son salaire correspondant, selon lui, au travail effectif que le salarié aurait dû fournir. Le salarié saisit le conseil des prud'hommes en référé et obtient le paiement d'un rappel de salaires. L'employeur fait appel estimant que la formation de référé n'est pas compétente.
Le référé prud'homal est compétent
Le référé est une procédure d'urgence qui permet d'obtenir rapidement une décision de justice provisoire mais exécutoire. La formation de référé peut, dans la limite de la compétence des conseils de prud’hommes, ordonner toutes les mesures qui ne se heurtent à aucune contestation sérieuse ou que justifie l’existence d’un différend (art. R. 1455-5 C. trav.). Elle peut accorder une provision au créancier et ordonner par exemple un rappel de salaires (art. R. 1455-7 C. trav.).
Mais la demande soumise au juge des référés ne doit se heurter à aucune contestation sérieuse. La solution doit être évidente, certaine. Sinon la formation de référé ne pourra pas se prononcer et devra renvoyer l'affaire au fond.
C'est sur cet argument que l'employeur a contesté la décision prud'homale estimant qu'il justifiait d'une contestation sérieuse rendant incompétente la formation de référé. Selon lui, l'obligation de paiement à échéance normale des heures de délégation (art. L. 2143-17 C. trav.) ne s'applique qu'en cas d'une contestation sur l'utilisation des heures et non d'une remise en cause de leur nombre. Or, dans son cas, il ne remettait pas en cause la bonne utilisation des heures de délégation mais leur volume.
Retenues sur salaire pour des heures de délégation = trouble manifestement illicite
La Cour de cassation lui donne tort (Cass. soc. 1er juin 2022, n°20-16836, Feu vert). Elle rappelle que, peu importe le motif de la contestation, dès lors que les retenues sur salaires correspondent à des heures de délégation, il y a un trouble manifestement illicite que le juge des référés est en droit de faire cesser (Cass. soc. 10 janv. 2006, n°04-46838).
En effet, même en présence d’une contestation sérieuse, le juge des référés peut toujours prescrire les mesures conservatoires ou de remise en état qui s’imposent pour prévenir un dommage imminent ou pour faire cesser un trouble manifestement illicite (art. R. 1455-6 C. trav.). La Cour de cassation a par exemple retenu qu'il y avait trouble manifestement illicite dans le cas d'un licenciement intervenu pendant la période de protection d'une salariée de retour de congé maternité (Cass. soc. 16 juil. 1997, n°95-42095).
L'employeur ne peut en aucun cas procéder à des retenues sur salaire concernant des heures de délégation. S'il les conteste, il doit d'abord les payer et seulement après saisir le juge. Le salarié pourra alors, le cas échéant, être condamné à rembourser ces heures (Cass. soc. 30 nov. 2004, n°03-40434 ; Cass. soc. 16 fév. 2022, n°20-19194, RPDS 2022, n°925, somm. 034).
En savoir plus : C. Blondet, « Les heures de délégation », RPDS, n° 906, octobre 2020.