Inégalités de traitement dans l’entreprise : le syndicat peut saisir le juge !
Au sein de l'entreprise, toute différence de traitement (salaire, avantages divers) entre salariés placés dans une situation identique doit être justifiée par des raisons objectives et matériellement vérifiables. C'est le principe de l'égalité de traitement, une règle fondamentale de droit du travail qui permet de lutter contre les décisions arbitraires prises par certains employeurs (Cass. Soc. 15 mai 2007, n° 05-42.894). Lorsque cette règle n'est pas respectée, le syndicat peut agir en justice, en son nom propre, pour faire cesser le préjudice porté à « l'intérêt collectif de la profession » (art. L. 2132-3 C. trav.). Deux arrêts rendus le 22 novembre 2023 par la Cour de cassation rappellent l'intérêt de cette action : contraindre l'employeur à respecter la loi, les conventions collectives et les accords d'entreprise, et le faire condamner au versement de dommages et intérêts au bénéfice du syndicat. Une limite, toutefois : chaque salarié lésé doit saisir le conseil de prud'hommes de manière individuelle pour obtenir réparation.
Agir en justice « dans l'intérêt collectif de la profession »
Cette action du syndicat a pour objet de protéger l'intérêt de la profession, entendue au sens large du terme : salariés d'une entreprise, d'un groupe, d'une branche professionnelle, etc. Mais comment distinguer, dans un litige, l'intérêt collectif des salariés de leurs intérêts individuels ? Les deux arrêts rendus par la Cour de cassation le 22 novembre dernier apportent des éléments de réponse.
Dans la première affaire, le syndicat CGT de l'entreprise Thales saisit le juge pour contester le mode de calcul des augmentations générales de salaire pratiquées au sein de la société. Ce mode de calcul étant défavorable à certains salariés, le syndicat invoque le non-respect de l'égalité de traitement. Son action est jugée recevable, car l’intérêt collectif de la profession est bien en jeu, même si peu de salariés sont concernés au sein de l'entreprise (Cass. soc. 22 nov. 2023, n° 22-11.238).
Dans la seconde affaire, les salariés des sociétés Transat, Marmara et Nouvelles Frontières sont transférés au sein de la société TUI dans le cadre de plusieurs opérations de fusion-absorption. Constatant l'octroi d'une prime de 13e mois à certains salariés alors que d'autres en sont privés, la fédération des services CFDT saisit le juge de deux demandes :
- la reconnaissance d'une inégalité de traitement portant atteinte à l'intérêt collectif de la profession et, par conséquent, le versement de dommages et intérêts au syndicat en réparation de ce préjudice ;
- l'octroi sous astreinte de la prime de 13e mois aux salariés, pour l'avenir et pour le passé, dans la limite du délai de prescription, fixé à trois ans.
Là encore, l'action du syndicat est admise dans son principe. Il y a bien atteinte portée à l’intérêt collectif de la profession, ce qui entraîne la condamnation de l'employeur au versement de dommages et intérêts au profit du syndicat. En revanche, la demande de versement de la prime aux salariés qui n'en bénéficient pas est rejetée : il leur appartient d'intenter eux-mêmes une action qui relève de « leur liberté personnelle d'assurer la défense de leurs intérêts » (Cass. soc. 22 nov. 2023, 22-14.807).
Un outil juridique à connaître et à utiliser
L'action en justice du syndicat « dans l'intérêt collectif de la profession » se révèle efficace dans de multiples contentieux. Quelques exemples d'actions jugées recevables :
- entrave de l'employeur au libre exercice du droit de grève ( soc. 18 déc. 2000, n° 00-44.418) ;
- entrave de l'employeur aux fonctions des représentants du personnel, lesquels assurent l'expression collective des salariés dans l'entreprise ( soc. 29 nov. 2006, n° 04-48.086) ;
- non-application d'une convention collective ( soc. 3 mai 2007, n° 05-12.340) ;
- non-respect de la durée du travail ( soc. 16 nov. 2004, n° 02-46.815) ;
- délit de harcèlement moral ( crim. 5 fév. 2013, n° 11-89.125).
Cette possibilité pour les syndicats d'agir en justice reste néanmoins trop rarement utilisée. Il ne faut pas hésiter à y recourir !
En savoir plus
A. Le Mire et E. Suire, « L'action en justice du syndicat et du CSE », RPDS 2022, n° 925, p. 155