Haro sur le paiement des heures de délégation en heures supplémentaires
Il était une fois un conducteur de la société Transdev Ile-de-France qui était représentant du personnel au comité d'entreprise et au CHSCT. Il estimait qu'il ne pouvait pas prendre ses heures de délégation pendant son temps de travail habituel, car, du fait d'un sous-effectif chronique, cela perturbait le fonctionnement de l'entreprise et agaçait ses collègues obligés de le remplacer. Il posait donc régulièrement ses heures de délégation en dehors de ses horaires de travail et se les faisait payer en heures supplémentaires.
Son employeur le traîne aux prud'hommes afin d'obtenir le remboursement des heures de délégation posées les dimanches et les jours fériés ainsi que les primes et indemnités afférentes, soit au total la modique somme de 17 034 euros. Alors que les juges du fond avaient rejeté la demande de l'employeur, la Cour de cassation casse leur décision dans un arrêt dont la motivation ne présage rien de bon pour les représentants du personnel (Cass. soc. 14 oct. 2020, n°18-24049).
La présomption de bonne utilisation des heures de délégation
Depuis la loi du 28 octobre 1982, les heures de délégation bénéficient d'une présomption de bonne utilisation. Afin de mettre un terme aux demandes de justification incessantes des employeurs, le législateur avait alors imposé le paiement de ces heures à échéance normale avant toute discussion et mis l'action en justice à la charge de l'employeur en cas de contestation (voir l'article L. 2315-10 du Code du travail pour le comité social et économique (CSE), qui reprend les anciens articles L. 2328-7 et L. 4614-6 qui concernaient respectivement le comité d'entreprise et le CHSCT).
C'est donc à l'employeur, après avoir payé les heures de délégation, d'apporter la preuve d'une utilisation non-conforme à la mission du représentant du personnel s'il veut en demander le remboursement devant le conseil des prud'hommes.
Les heures de délégation prises en dehors de ses horaires de travail
Dans l'affaire qui nous occupe, l'employeur ne contestait pas que le représentant du personnel ait bel et bien utilisé ses heures de délégation conformément à sa mission (l'élu lui avait d'ailleurs fourni des justificatifs à cet égard) mais le moment auquel elles avaient été utilisées. Pour l'employeur, rien ne justifiait qu'il ne prenne pas ses heures pendant son temps de travail.
Les heures de délégation peuvent être utilisées pendant ou hors temps de travail et, dans les deux cas, elles sont considérées de plein droit comme temps de travail (article L. 2315-10 du Code du travail ; Cass. soc. 19 mai 2016, n°14-26967).
Lorsqu'elles sont prises en dehors du temps de travail, les heures de délégation doivent être rémunérées en heures supplémentaires mais le représentant du personnel doit pouvoir le justifier par les nécessités du mandat (Cass. soc. 30 mai 2007, n°04-45774).
Dans ce cas, l'employeur doit toujours commencer par payer les heures avant de les contester en justice, mais ce sera alors au salarié de prouver que les nécessités du mandat imposaient qu'il prenne ses heures en dehors de son temps de travail.
Obligation de les justifier par les « nécessités du mandat »
Dans l'affaire présente, la Cour a estimé que le salarié n'avait pas démontré cette nécessité bien qu'il ait mis en avant le sous-effectif chronique pour expliquer la difficulté à prendre ses heures pendant son temps de travail sans perturber le fonctionnement de l'entreprise et mettre en difficulté ses collègues.
Les contours jurisprudentiels des « nécessités du mandat » restent incertains mais on sait que la Cour de cassation avait déjà considéré qu'une organisation du travail en 3×8 ne justifiait pas en soi de prendre ses heures de délégation en dehors de son horaire normal de travail (Cass. soc. 20 juin 2007, n°06-41219).
En revanche, la Cour a jugé qu'un travailleur de nuit était légitime à poser des heures de délégation le jour, ne serait-ce par exemple que pour participer à des réunions préparatoires du CSE (Cass. soc. 11 juin 2008, n°07-40823).
Étonnamment, la Cour de cassation ne mentionne, dans l'arrêt du 14 octobre 2020, que les nécessités du mandat comme condition pour poser des heures de délégation en dehors de son temps de travail alors que bien souvent, les difficultés à poser ses heures de délégation viennent des « nécessités du travail ».
La Cour passe à côté des « nécessités du travail »
En effet, nombre d'élus pourront témoigner de leurs difficultés à poser leurs heures de délégation car c'est peu, mal ou pas du tout pris en compte dans des organisations du travail déjà en flux tendus. Mais la Cour n'en a cure et ne demande, dans cette affaire, à aucun moment à l'employeur de démontrer qu'il avait mis en œuvre les moyens permettant aux élus de prendre leurs heures de délégation sur leur temps de travail sans dommage pour l'organisation du travail et le collectif de travail.
En conclusion, gare aux heures de délégation prises en dehors des heures de travail ! Préparez votre justification car faire valoir ses droits reste un combat permanent pour les représentants du personnel.