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HARCÈLEMENT
HARCÈLEMENT

Enquêter sur l’auteur présumé d’un harcèlement sans l’avertir ?

Publié le 13 septembre 2021
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Lorsque des actes de harcèlement sont soupçonnés dans l'entreprise, une enquête peut être diligentée par l'employeur à l'insu du salarié mis en cause. Une solution controversée.

Un arrêt rendu le 17 mars 2021 par la Cour de cassation relatif au licenciement d'une salariée pour des faits de harcèlement moral suscite bien des interrogations. Aussi surprenant que cela puisse paraître, les juges admettent qu'une enquête puisse être menée au sein de l'entreprise sans que la personne mise en cause soit entendue, ni même informée. Avec le risque de voir prononcer des licenciements sur la seule foi d'investigations menées à charge.

Harcèlement et « audit de comportement »

Une salariée, cadre manager dans une agence de communication, est soupçonnée d'actes de harcèlement moral envers ses collègues. L'employeur, en accord avec les représentants du personnel, décide de mandater une entreprise spécialisée en risques psychosociaux pour « entendre les salariés et les accompagner psychologiquement ».

Les soupçons sont confirmés. Les salariés et stagiaires, reçus par une psychologue, font tous état de propos grossiers et obscènes, subis à longueur de journée. Plus grave, des insultes à caractère racial et discriminatoires sont régulièrement proférées, créant un véritable climat de terreur et de persécution (« négro », « grosse vache », pour n'en citer que deux). Les salariés confessent leur angoisse de venir travailler, « ne sachant pas qui sera la victime du jour ».

Pas d'information de la salariée mise en cause

Durant le temps des investigations, la salariée accusée est mise à pied. Elle n'est ni entendue, ni même informée de la mise en œuvre de l'enquête, pourtant présentée comme un « audit de comportement ».

Licenciée pour faute grave, la salariée saisit le conseil de prud'hommes et demande aux juges d'écarter le compte-rendu de l’enquête des débats. Selon la salariée, sa propre mise à l'écart ne lui a pas permis de se défendre, de faire valoir des éléments contradictoires, ce qui fait de ce compte rendu un moyen de preuve illicite. Déboutée en première instance, la salariée obtient gain de cause devant la Cour d'appel : le licenciement est jugé sans cause réelle et sérieuse. Ultime rebondissement devant la Cour de cassation, le licenciement pour faute grave est finalement admis. Selon les juges, le compte rendu de l'enquête est un élément de preuve recevable. La mise à l'écart de la salariée ne rend pas ce procédé clandestin, ni même déloyal.

Une solution discutable

Comprendre – Titulaire d'une obligation générale de sécurité envers ses salariés, l'employeur doit faire cesser tout acte de harcèlement dans l'entreprise dès qu'il en a connaissance. Lorsque des actes de harcèlement sont suspectés, il doit diligenter une enquête (Cass. soc. 27 nov. 2019).
– Selon l’article L. 1222-4 du code du travail, aucune information concernant personnellement un salarié ne peut être collectée par un dispositif qui n’a pas été porté préalablement à sa connaissance.
– Dans cet arrêt du 17 mars 2021, les juges considèrent que l'enquête effectuée au sein d’une entreprise à la suite de la dénonciation de faits de harcèlement n'est pas un dispositif de contrôle et de surveillance de l'activité des salariés. Cette enquête, non soumise aux dispositions de l’article L. 1222-4 du code du travail, peut donc être réalisée sans que le salarié concerné soit prévenu, ni même associé.

Cette solution, inédite, est à prendre avec des pincettes. Au regard de la gravité des faits, en particulier de l'avalanche de témoignages reçus, juger le licenciement sans cause réelle et sérieuse était impensable. Les propos tenus justifiaient de toute évidence un licenciement pour faute grave.

Pour autant, fallait-il valider la procédure utilisée par l'employeur et affirmer la possibilité de mener une enquête sur des actes de harcèlement présumé sans entendre la salariée mise en cause ? Nous ne le pensons pas.

Sur le plan juridique, cet arrêt n'est pas conforme aux dispositions de l'accord national interprofessionnel (ANI) du 26 mars 2010 sur le harcèlement et la violence au travail. Le salarié mis en cause doit, en principe, être informé et entendu dans le cadre de l'enquête décidée par l'employeur. L'article 4.2 de cet accord pose une exigence d'objectivité et d'impartialité dans la conduite des auditions : « toutes les parties impliquées doivent bénéficier d'une écoute impartiale et d'un traitement équitable ». Ces précautions sont importantes. S'en dispenser ouvre la porte à de possibles abus. Surtout, il est à craindre que des employeurs utilisent ces enquêtes à charge pour monter des dossiers « dans le dos » des salariés à évincer… lesquels ne pourront présenter leur version des faits qu'après le lancement de la procédure de licenciement, au moment de l'entretien préalable.

Pour autant, et c'est le côté positif de cet arrêt, la Cour de cassation marque une volonté ferme de protéger les victimes de harcèlement. Car maintenir le harceleur à l'écart des investigations, c'est aussi permettre aux victimes d'échapper aux pressions… et donc de témoigner plus librement.

Pour en savoir plus : voir notre guide « Combattre le harcèlement au travail »
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