À venir
Votre identifiant correspond à l'email que vous avez renseigné lors de l'abonnement. Vous avez besoin d'aide ? Contactez-nous au 01.49.88.68.50 ou par email en cliquant ici.
HAUT
ÉPARGNE SALARIALEParticipation aux résultats
ÉPARGNE SALARIALEParticipation aux résultats

Embarras à la Cour de cassation

Publié le 24 avril 2018
Modifié le 25 avril 2018
Par
Envers et contre tous les principes juridiques jusqu'ici admis, la Cour de cassation considère que même une fraude de l'employeur ne permet pas de remettre en cause le calcul de la participation des salariés. Problème : certains magistrats de la Cour de cassation qui ont rendu cet arrêt participent régulièrement à des conférences organisées et rémunérées par la maison d'édition qui a eu gain de cause dans cette affaire.

Le 28 février 2018, la chambre sociale de la Cour de cassation a jugé une affaire (n° 16‑50015) opposant la société d'édition Wolters Kluwer France et les organisations syndicales (Ugict‑CGT, SNJ, CFDT et CNT). Suite à une opération de restructuration, la société avait souscrit un emprunt auprès de sa maison mère pour un montant de 445 millions d’euros, remboursable sur quinze ans avec des taux d'intérêt élevés. Cette opération a entraîné un gain fiscal pour la maison mère et conduit à l'endettement de la société, ce qui a eu pour effet de réduire drastiquement sur plusieurs années la participation versée aux salariés.

La cour d'appel de Versailles avait donné raison aux syndicats en considérant que l'opération de restructuration était constitutive d'une manœuvre frauduleuse, et que la réserve de participation devait être reconstituée pour restituer aux salariés les sommes non perçues.

La Cour de cassation désavoue les salariés

La chambre sociale de la Cour de cassation a désavoué la cour d'appel au motif que le calcul de la réserve de participation est certifié par une attestation du commissaire aux comptes et que sa sincérité ne pouvait être remise en cause. L'action des syndicats, même fondée sur la fraude ou l’abus de droit invoqués à l’encontre des actes de gestion de la société, a donc été jugée non recevable. La Cour de cassation a fait une application stricte de la loi. Ce faisant, elle s'est affranchie de l'adage « fraus omnia corrompit » (la fraude corrompt tout) qui prévaut normalement en jurisprudence. Rien n'empêchait pourtant les hauts magistrats de s'interroger sur ce qui s'est passé en amont et par quel montage la participation était devenue inexistante (Voir G. Auzero, « La fraude ne fait pas (ou plus) exception à toutes les règles », Cahiers Sociaux, avril 2018, n° 306, p. 212). 

Conflit d'intérêts ?

Au-delà du débat juridique, l'affaire a pris cependant une tournure différente. Deux articles de presse parus le 18 avril 2018 dans la revue Alternatives Économiques et le Canard enchaîné ont mis en évidence ce qu'il leur semble en l'espèce relever d'un conflit d'intérêts. Ces articles constatent que trois magistrats qui ont pris part à la formation de jugement ayant rendu l'arrêt du 28 février 2018 collaborent régulièrement à la maison d'édition juridique Wolters Kluwer sous forme de conférences pour lesquelles ils perçoivent une rétribution.

Le premier président de la Cour de cassation a publié un communiqué sur le site de la Cour de cassation pour défendre les magistrats visés. Selon lui, il n'y a rien d'anormal à ce que les magistrats de la cour président des journées d'information destinées aux spécialistes du droit du travail, que cela se situe dans le prolongement de leur activité et que les sommes perçues seraient modestes, ce qui enlèverait toute pertinence à d'éventuelles interrogations sur l'impartialité des intéressés. Et le premier président cite deux affaires traitées par les mêmes magistrats et qui ont été défavorables à la société Wolters Kluwer.

Proximité dangereuse

Première observation : les deux affaires citées par le premier président peuvent difficilement être comparées, en termes d'enjeu économique, avec celle ayant donné lieu à l'arrêt du 28 février 2018. Dans la première, il s'agissait de la contestation de la désignation d'un délégué syndical (Cass. soc. 24 mai 2016, n° 15‑20974). Dans la seconde, la société entendait priver une salariée ayant accepté un congé de mobilité du droit de contester la cause économique de son licenciement (Cass. soc. 12 nov. 2015, n° 14‑15430). En valeur relative, les retombées financières de cette seconde affaire (95 000 €) sont insignifiantes pour une société de cette importance en comparaison des millions d'euros sur lesquels la réserve de participation aurait dû être recalculée si l'arrêt du 28 février 2018 avait donné raison aux salariés.

Seconde observation plus fondamentale : il ne s'agit pas de reprocher aux magistrats de participer à des échanges avec d'autres juristes ou des acteurs de la vie sociale, voire d'être indemnisés de leurs frais dans ce cadre. Ce qui pose problème, c'est davantage l'orientation systématiquement propatronale des conférences litigieuses où le public est composé essentiellement de DRH, juristes d'entreprise et avocats d'affaires. Cette proximité de plus en plus étroite entre certains magistrats et les acteurs patronaux de l'entreprise se ressent d'ailleurs dans plusieurs arrêts rendus ces dernières années. Comme le veut l'expression consacrée « ça commence à se voir » ! Cela explique l'embarras du premier président de la Cour de cassation qui a été contraint de rappeler les conditions d'impartialité objective dans lesquelles doivent être rendus les arrêts de la Cour en appelant tous les magistrats à une vigilance accrue.

Quant à la CGT, seule organisation syndicale ayant réagi au plan national, elle demande dans une déclaration que « toute la lumière soit faite sur cette affaire et que toutes les suites qui s'imposent lui soient données ».