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COMITE SOCIAL ET ECONOMIQUE
COMITE SOCIAL ET ECONOMIQUE

Du mieux sur les établissements distincts

Publié le 21 septembre 2020
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Que faut-il entendre par « autonomie suffisante » du chef d'établissement pour reconnaître un caractère distinct à un établissement et y implanter un comité social et économique d'établissement ? La Cour de cassation apporte de nouvelles précisions pour répondre à cette question.

Dans les entreprises à établissements multiples, des comités sociaux et économiques d'établissement doivent être constitués si l'entreprise a un effectif global d'au moins 50 salariés et si au moins deux établissements présentent un caractère « distinct » (Art. L. 2313-1 du C. trav.). Ce qu'il faut entendre par « établissement distinct » constitue donc un enjeu majeur car plus le nombre d'établissements distincts est grand, plus le nombre de représentants du personnel est important, et inversement. Par ailleurs, un grand nombre d'établissements distincts permet de mettre en place des CSE d'établissement au plus près des collectivités de travail et donc des salariés.

Depuis l'ordonnance du 22 septembre 2017, c'est un accord d’entreprise majoritaire sans possibilité de référendum (Art. L. 2313-2 du C. trav.) qui détermine le nombre et le périmètre des établissements distincts. En l'absence d'accord, l'employeur est autorisé à fixer unilatéralement le nombre et le périmètre des établissements distincts en se référant à un seul critère, à savoir l'autonomie de gestion du responsable de l'établissement, notamment en matière de gestion du personnel (Art. L. 2313-4 du C. trav.).

Comme il n'existe pas de degré fixé par la loi à cette autonomie, cette notion est relative et doit être analysée par les juges en prenant en compte le contenu des délégations de pouvoirs consentis aux chefs d'établissement, mais aussi les conditions concrètes dans lesquelles s'exercent leurs prérogatives et notamment comment elles s'articulent avec les structures décisionnelles de l'entreprise.

Un mauvais exemple

Dans un arrêt du 19 décembre 2018 (Cass. soc. 19 déc. 2018, n° 18-23655, SNCF), la Cour de cassation avait jugé que constitue un établissement distinct l'établissement qui présente, notamment en raison de l'étendue de délégation des compétences dont dispose son responsable, une autonomie suffisante en ce qui concerne la gestion du personnel et l'exécution du service. La chambre sociale avait ainsi repris à son compte la solution dégagée en son temps par le Conseil d'État pour la mise en place des comités d'entreprise (Cons. Et 29 juin 1973, n°77982, Cie internationale des wagons-lits ; Cons. Et. 27 mars 1996, n°155791, RATP).

La référence à ces deux critères, sans que le critère de l'exécution du service soit une obligation légale, aboutissait en l'espèce à exiger que l'autonomie des chefs d'établissement soit « absolue » et non seulement « suffisante », ce qui a privé les cheminots de nombreux CSE d'établissement..

Cette décision envoyait implicitement un mauvais signal aux employeurs, lesquels ne se sont pas privés dans nombre d'entreprises de redéfinir les délégations de pouvoirs autrefois consenties aux chefs d'établissement dans le cadre de la législation sur les comités d'entreprise. Cela a conduit de facto certains chefs d'entreprise à réduire par décision unilatérale le nombre et le périmètre d'établissements distincts. Plusieurs directions régionales des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi (Direccte) saisies par les syndicats mécontents ont dû, dès lors, se prononcer sur la pertinence ou non des décisions patronales (Art. R. 2313-1 et R. 2313-4 du C. trav.).

Elles ont parfois approuvé les découpages patronaux, parfois les ont remis en cause et imposé un nouveau découpage. Les syndicats ou les employeurs concernés ont alors contesté la décision de la Direccte concernant leur entreprise ou leur UES devant le tribunal d'instance (aujourd'hui tribunal judiciaire), désormais seul compétent en la matière.

Deux arrêts rendus au 1er semestre 2020 constituent une approche un peu plus souple. Ils donnent une définition intéressante de ce qu'il faut entendre par « autonomie de gestion suffisante » des responsables d'établissement.

Un établissement peut être distinct même si certaines fonctions sont centralisées

Dans une première affaire ayant donné lieu à un arrêt du 11 décembre 2019, plusieurs syndicats représentatifs étaient en désaccord avec le contenu de la décision de l'employeur ayant limité à trois le nombre d'établissements distincts. Ils l'ont contestée devant la Direccte, qui a découpé la société en vingt-quatre établissements distincts en fonction des délégations de compétences consenties aux chefs d'établissement identifiés.

La décision de l'administration a fait l'objet d'un recours formé par l'employeur devant le tribunal d'instance. Celui-ci a annulé la décision de la Direccte et constaté l'absence d'établissements distincts au sein de la société, puis a décidé que la représentation du personnel s'exercera au sein d'un CSE unique.

Une telle analyse se situait dans la lignée de l'arrêt du 18 décembre 2018. Elle consiste à considérer que l'autonomie de gestion des chefs d'établissement doit être totale et absolue, ce que n'exige en aucun cas le texte de l'article L. 2313-4 du Code du travail. L'autonomie de gestion n'implique pas en effet une indépendance totale de l'établissement par rapport à la structure centrale d'entreprise.

La décision des juges d'instance est cassée au motif que la centralisation de certaines fonctions dites support et l'existence de procédures de gestion définies au niveau du siège ne sont pas de nature à exclure l'autonomie de gestion des responsables d'établissement. La Cour de cassation reproche aux juges du fond de ne pas avoir recherché, au regard de l'organisation de l'entreprise en filières et en sites, le niveau caractérisant un établissement distinct au regard de l'autonomie de gestion des responsables, tout en ayant constaté l'existence de délégations de pouvoirs dans des domaines de compétence variés et de négociation d'accords d'établissement.

Ce n'est pas en effet parce qu'un chef d'établissement exécute et fait exécuter au sein de son établissement les décisions économiques et sociales arrêtées au niveau central par l’entreprise que cela doit exclure l’autonomie de ce chef d’établissement dans la mise en œuvre de ces décisions. C'est donc aux juges du fond de rechercher les indices de cette autonomie laquelle n'implique pas une indépendance totale de l'établissement par rapport à la structure centrale d'entreprise.

De même si les compétences sont partagées

Un second arrêt du 22 janvier 2020 est encore plus explicite de ce point de vue. Il admet la possibilité de reconnaître un établissement distinct en cas de partage de compétences avec le siège en matières budgétaire et de gestion du personnel.

Dans la présente affaire, outre que six établissements disposent d’une implantation géographique distincte, les juges du fonds ont relevé que chaque établissement est doté :

  • d'un budget spécifique décidé par le siège sur proposition du chef d'établissement, lequel participe à l’élaboration des budgets de fonctionnement et d’investissement de l'établissement avec le siège ;
  • de l’autonomie en matière de gestion du personnel, le chef d'établissement disposant d’une compétence de « management du personnel social », étant garant du respect du règlement intérieur, mène des entretiens individuels de carrière et des entretiens préalables à une éventuelle sanction, peut prononcer des avertissements, et qu’il présidait jusqu’à présent le CHSCT et animait les réunions des délégués du personnel.

Une centralisation des décisions qui n'exclut pas un certain degré de décentralisation dans leur élaboration et leur mise en œuvre permet ainsi de conférer à des établissements un caractère distinct, l'autonomie du chef d'établissement devant être seulement suffisante.

Cela étant, s'il n’existe pas à l’échelon des établissements une autonomie suffisante en ce qui concerne la gestion du personnel, le caractère distinct est difficilement reconnu. Tel est le cas dans un arrêt du 8 juillet 2020 où des directeurs d'établissements sont privés de tout pouvoir de prononcer des sanctions autres que des rappels à l’ordre et des avertissements, les sanctions les plus graves relevant d'un niveau supérieur régional ou national.

Ils ne jouissent, par ailleurs, que d’un pouvoir de proposition d'embauche, la décision de recrutement relevant de la compétence des services des ressources humaines régionaux ou nationaux.

Une approche plus conforme aux dispositions légales

Ces différents arrêts constituent globalement une approche un peu plus conforme aux dispositions légales et surtout à la réalité de l'organisation des entreprises. Elles n'impliquent pas que le chef d'établissement dispose d'une pleine et entière autonomie de gestion lui permettant de définir et de mettre en œuvre des directives qui lui sont propres. Il suffit qu'il soit en mesure, à l'aide des pouvoirs qui lui sont reconnus sur son périmètre, de disposer d'une délégation pour rendre applicables les orientations prises au niveau central et qu'il dispose de compétences partagées en matière de gestion du personnel et d'exécution du service, sans que ces deux critères soient cumulatifs.

Si une autonomie insuffisante en matière de gestion du personnel semble à elle seule de nature à écarter la qualification d'établissement distinct (arrêt du 8 juillet 2020), une autonomie suffisante sur ce point n'a pas besoin d'être complétée par une autonomie suffisante en matière d'exécution du service (arrêt du 11 décembre 2019).

NVO, la Nouvelle vie ouvriere - l'actualité sociale, syndicale et juridiqueEn savoir plusM. Cohen et L. Milet, « Le droit des CSE et des CG », 15e éd., LGDJ 2020, n° 180 et suiv.