Discrimination : la preuve par les statistiques
Ce salarié intérimaire avait occupé des postes de pré-monteur et de monteur lors de longues missions – 19 mois de juin 2015 à décembre 2016, et 18 mois de septembre 2017 à mars 2019 – sans jamais décrocher de contrat à durée indéterminée (CDI). Il a fini par assigner l'entreprise utilisatrice devant les prud'hommes pour obtenir la requalification de ses contrats de mission en CDI et des dommages et intérêts pour discrimination à l'embauche.
Prouver une telle discrimination, fondée en l'espèce sur le nom de famille, n'est pas simple. La loi demande à la victime de présenter des éléments laissant supposer une discrimination. À charge pour l'employeur de se justifier par des éléments objectifs étrangers à toute discrimination (art. L. 1134-1 C. trav.).
La démarche de l'intérimaire a été d'élaborer des statistiques à partir du registre unique du personnel et de l'organigramme de la société, documents communiqués par l'employeur.
Des statistiques comme indices
Pour rappel, le registre du personnel fait apparaître dans l'ordre d'embauche, tous les salariés de l'entreprise, intérimaires, stagiaires et services civiques compris (art. L. 1221-13 C. trav.).
Il contient de nombreuses indications : nationalité, date de naissance, sexe, emploi, qualification, dates d'entrée et de sortie de l'établissement, dates d'autorisation d'embauche ou de licenciement, type et numéro d'ordre du titre valant autorisation de travail (pour les salariés étrangers), mentions de CDD ou travail temporaire etc. (art. D.1221-23 et suiv. C. trav.).
À l'aide de ces données et de l'organigramme, le salarié a tiré les chiffres suivants :
- parmi les intérimaires à patronyme européen, 18,07 % s’étaient vus accorder un contrat à durée indéterminée (CDI), contre 6,9 % pour les salariés à patronyme extra-européen ;
- les intérimaires à patronyme extra-européen représentaient 8,17 % de l’ensemble des intérimaires mais seulement 2,12 % de l’ensemble des salariés en CDI pour les mêmes postes ;
- 80,93 % des salariés à patronyme européen étaient en CDI pour seulement 21,43 % des salariés à patronyme extra-européen.
Il y avait donc, selon lui, discrimination liée à l'origine, basée sur la consonnance des noms de famille.
Des éléments non réfutés par l'employeur
L'employeur aurait dû expliquer en quoi ses critères de recrutement étaient étrangers à toute discrimination. Or les juges ont estimé qu'il ne présentait pas d'éléments solides. Il se fondait en effet sur 4 noms au patronyme étranger sur une liste de 22 salariés, alors que l'étude du salarié comprenait 269 salariés (Cour de cassation, 14 déc. 2022, n° 21-19.628).
Il est intéressant de noter que l'entreprise essayait de tirer parti de « l'interdiction d'établir des statistiques en fonction de l'origine des salariés, et, en particulier, de la consonnance de leur patronyme ».
L'interdiction des statistiques « ethniques », issue de l'article 6 de la loi informatique et libertés, vise à ne pas utiliser un traitement de données à des fins discriminatoires. Elle comporte des exceptions qui permettent notamment d'en produire dans le cadre d'un litige.
Une possibilité validée dans un arrêt Air France du 15 décembre 2011 dans lequel la Cour de cassation avait pris en compte une analyse statistique présentée par la Halde (ex Défenseur des droits).
Une discrimination systémique
Établir des statistiques sur la base d'un grand nombre de salariés de l'entreprise permet de faire apparaître une discrimination systémique. Le traitement différencié, dont l'intérimaire, est victime, est appliqué à une population bien plus étendue. La solution du litige pourrait donc bénéficier à d'autres salariés connaissant les mêmes problèmes de discrimination liée à l'origine supposée.
En savoir plus La lutte contre les discriminations, RPDS 2021, n° 916-917.
X. Sauvignet « Du bon usage des statistiques de la mesure de la discrimination en entreprise », RDT 2022, p. 450.