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DROIT SYNDICAL
DROIT SYNDICAL

Délit d’opinion, déni de démocratie

Publié le 3 mai 2024
Modifié le 7 mai 2024
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Les lois de « réaction », au sens de lois réactionnaires ou de lois répondant à des évènements, ne figurent généralement pas parmi les meilleurs textes qui composent notre ordre juridique. En publiant en 1899 son pamphlet resté célèbre, Les Lois scélérates de 1893 et 1894, le « juriste » Léon Blum dénonçait des lois d'exception destinées à réprimer tout le mouvement social. Ces lois avaient été adoptées en réaction aux attentats menés par certains militants et parfois par des agents provocateurs. On le sait, la violence est toujours un bon motif pour interdire et condamner toute contestation de l'ordre établi.

Les lois de 1893 et 1894 instillaient dans le Code pénal la notion d'« apologie de crimes » et furent abrogées, un siècle plus tard, en 1992. Pour toute une génération de juristes, cette notion d'« apologie de crimes » reste une incrimination qui porte atteinte à la liberté d'expression. De ce fait, si elle existe, elle doit être retenue et mise en œuvre avec d'extrêmes précautions, et c'est peu dire qu'il faut au juge soupeser le quantum de la peine lorsqu'il décide de sanctionner.

Une remarque s'impose. L'apologie d'un crime a au moins deux significations : la première consiste à inciter à le commettre ; la seconde à prétendre le justifier. Si la répression de la première acception peut s'entendre, on ne peut que redoubler de prudence avec la répression pénale des écrits ou des paroles qui tendent à justifier un crime ou un délit. Comprendre ou contextualiser un crime ou un délit ne veut pas forcément dire inciter à le commettre, ni l'excuser. En outre, dans une société démocratique, le débat politique, syndical, philosophique ne peut être corseté.

Aussi, on ne saurait que s'élever contre la sanction qui vient d'être prononcée à l'encontre du secrétaire général de l'union départementale CGT du Nord, responsable d'un tract syndical au lendemain des attentats terroristes du 7 octobre 2024 en Israël (T. corr. Lille, 18 avril 2024). Il s'est trouvé un juge pénal pour le condamner à un an de prison avec sursis pour apologie du terrorisme. Cette incrimination a été introduite dans notre Code pénal par la loi du 13 novembre 2014 sur la lutte contre le terrorisme. L'article L. 421‑2‑5 du Code pénal dispose que « le fait de provoquer directement à des actes de terrorisme ou de faire publiquement l'apologie de ces actes est puni de cinq ans d'emprisonnement et de 75 000 euros d'amende ». Pour ce qui concerne notre camarade, les faits incriminés tiennent à cette formule : « Les horreurs de l'occupation illégale se sont accumulées. Depuis samedi [7 octobre, NDLR], elles reçoivent les réponses qu'elles ont provoquées. » Il est reproché à l'auteur de ce tract syndical d'avoir « amoindri la réprobation morale » envers les auteurs de l'attaque terroriste et d'avoir omis de faire figurer dans le tract « une condamnation explicite ou implicite des actes du 7 octobre ». Peu importe que ledit tract ait mentionné que « la CGT pleure toutes les victimes ». Ici, le juge se fait prescripteur d'une rédaction. Est‑ce bien là son office ? On peut en douter.

Ce qui est certain, en revanche, c'est que la peine est disproportionnée. La Cour européenne des droits de l'homme, dans une décision rendue en 2022 (CEDH 23 juin 2022, Rouillan c. France, no 28 000/19.), a déjà indiqué que la peine infligée ne doit en aucune façon dissuader de l'exercice légitime de la liberté d'expression. Elle souligne que le prononcé d'une peine pénale constitue une des formes les plus graves d'ingérence dans le droit à la liberté d'expression. Une peine pénale infligée dans le cadre d'un débat politique n'est envisageable pour la Cour européenne des droits de l'homme qu'à la condition qu'il s'agisse de la diffusion d'un discours de haine. Avec le tract incriminé, on est bien loin de cette situation. Dès lors, la peine de prison, même assortie d'un sursis, est totalement disproportionnée et sera forcément annulée.

Utiliser à mauvais escient la loi pénale n'est jamais de bon augure. Il
faut se mobiliser pour un retour à plus de mesure et au respect de la
liberté d'expression. Les délits d'opinion n'ont pas leur place dans une
démocratie.