CSE : l’établissement distinct mal parti
Pour les entreprises soumises à l'obligation de mettre en place un comité social et économique (CSE), des comités sociaux et économiques d'établissement doivent être constitués (art. L. 2313-1 du C. trav.) :
- si l'entreprise a un effectif global d'au moins 50 salariés ;
- si au moins 2 établissements présentent un caractère « distinct ».
Pourquoi reconnaître des établissements distincts ?
Deux enjeux majeurs président à la reconnaissance du caractère distinct d'un établissement. La première c'est que plus les établissements distincts sont nombreux, plus le nombre de représentants du personnel est important, et vice versa. Par exemple, si une entreprise totalise 1 000 salariés, le nombre d'élus titulaires est de 17 (voir art. R 2314-1 du C. trav.).
Si cette entreprise comprend deux établissements distincts de 500 salariés, chaque CSE d'établissement disposera de 13 titulaires, soit un total de 26 élus. Et si la même entreprise a quatre établissements distincts de 250 salariés, elle disposera par CSE d'établissement de 11 salariés, soit un total de 44 élus.
La seconde incidence est que de nombreux établissements distincts permettent de mettre en place des CSE au plus près des collectivités de travail et donc des salariés.
En conséquence, plus la définition de l'établissement distinct est souple, plus leur reconnaissance sera facilitée. Inversement, une définition plus restrictive risque de déboucher sur un nombre plus restreint d'établissements distincts et donc de CSE d'établissement.
La main donnée à l'employeur à défaut d'accord
En principe, depuis l'ordonnance du 22 septembre 2017 c'est un accord d’entreprise majoritaire sans possibilité de référendum (art. L. 2313-2 du C. trav.) qui détermine le nombre et le périmètre des établissements distincts. Cet accord est libre de retenir les critères qui lui semblent pertinent pour définir l'établissement distinct (par exemple l'implantation géographique, le caractère de stabilité et le degré d'autonomie du chef d'établissement qui étaient les critères adoptés jusqu'alors par la jurisprudence).
Mais en l'absence d'accord, l'employeur est autorisé à fixer unilatéralement le nombre et le périmètre des établissements distincts en se référant uniquement à l'autonomie de gestion du responsable de l'établissement, notamment en matière de gestion du personnel (art. L. 2313-4 du C. trav.).
Cette référence à l'autonomie de gestion du responsable signifie que la loi entend permettre à l'employeur de privilégier le périmètre d'implantation des nouveaux comités sociaux et économiques d'établissement sur celui des anciens comités d'établissement. Sauf accord plus favorable, cela risque de priver de nombreux établissements, n'ayant pas de caractère distinct au sens du CSE, d'une représentation du personnel en raison de la disparition des délégués du personnel qui pouvaient être élus dans des établissements distincts au sens des délégués du personnel.
Si un ou plusieurs syndicats représentatifs, ou le comité social et économique, sont en désaccord avec le contenu de la décision de l'employeur, ils peuvent la contester dans un délai de quinze jours à compter de la date à laquelle ils ont été informés, devant le directeur régional des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi (Direccte) (Art. R. 2313-1 et R. 2313-4 du C. trav.). La décision de l'administration peut faire l'objet d'un recours qui doit être porté devant le juge judiciaire (tribunal d'instance) et non pas devant le juge administratif.
C'est précisément ce qui s'est passé à l'occasion de la mise en place des CSE d'établissement au sein de la SNCF. La direction de la SNCF et les organisations syndicales représentatives de l'entreprise ont engagé une négociation sur le nombre et le périmètre des établissements distincts, qui n'a pas abouti. L'employeur a en conséquence fixé unilatéralement le nombre et le périmètre des établissements distincts. La décision de l'employeur a été contestée devant la Direccte qui a procédé à un découpage correspondant à celui fixé par l'employeur.
La décision de la Direccte a été contestée par les organisations syndicales devant le tribunal d'instance qui, par un jugement du 11 octobre 2018, à son tour, a fixé un nombre et des périmètres d'établissements distincts identiques à ceux résultant de la décision de la Direccte.
Une appréciation restrictive de la Cour de cassation
Appelée à se prononcer, la Cour de cassation a validé la décision du juge d'instance. Elle a posé en principe que constitue un établissement distinct l'établissement qui présente, notamment en raison de l'étendue des délégations de compétence dont dispose son responsable, une autonomie suffisante en ce qui concerne la gestion du personnel et l'exécution du service (Cass. soc. 19 déc. 2018, n° 18-23655, SNCF). Elle a ainsi reprise à son compte la solution dégagée en son temps par le Conseil d'Etat pour la mise en place des comités d'entreprise (Cons. Et 29 juin 1973, n°77982, Cie internationale des wagons-lits ; Cons. Et. 27 mars 1996, n°155791, RATP).
Celui-ci se référait à “l'autonomie de l'établissement” en s'attachant essentiellement à vérifier les pouvoirs consentis au chef d'établissement et l'autonomie de décision dont il pouvait disposer pour que le “fonctionnement normal des comités d'établissement puisse être assuré à son niveau”, pouvoirs qui devaient être caractérisés en matière de gestion du personnel et d'exécution du service.
Pour la gestion du personnel, le Conseil d'État avait jusqu'alors cité le pouvoir d'embaucher, de noter, de décider des promotions, de prononcer des sanctions disciplinaires (Cons. Et. 3 juill. 1996, no 147771).
Pour l'exécution du service, il avait cité les prises de décisions d'ordre budgétaire ou financier. Le Conseil d'État a en effet souvent privilégié l'autonomie administrative se traduisant par l'existence d'une structure de gestion administrative, financière et commerciale (Cons. Et. 27 mars 1996 précité, Dr. ouv. 1996.493, note J.-L. Rey).
Dans l'affaire SNCF, le tribunal d'instance, approuvé par la Cour de cassation, a ainsi considéré que 33 chefs d'établissement disposaient à leur niveau d'une autonomie de gestion suffisante.
Pour les autres établissements revendiqués par les organisations syndicales requérantes, celles-ci ne démontraient pas l'existence de pouvoirs effectifs des responsables en matière de gestion du personnel ou d'exécution du service.
Or cette appréciation des pouvoirs s'est limitée pour la Direccte et le juge d'instance à ignorer l'argument principal des syndicats selon lequel l'autonomie doit seulement être suffisante, dans plusieurs de ses aspects (gestion du personnel et gestion de l'activité économique), compte tenu de l'objectif poursuivi, qui est de permettre au responsable d'établissement de présider utilement ce comité, c'est-à-dire l'informer, le consulter et engager un dialogue utile avec ses membres, sans impliquer une indépendance totale de l'établissement par rapport à la structure centrale d'entreprise. La Cour de cassation a visiblement confondu autonomie de gestion avec autonomie totale et absolue.
Elle aurait pu par ailleurs s'interroger si la fusion des instances ne méritait pas une nouvelle approche plus souple de la notion d'établissement distinct.
1° Le comité social et économique doit assumer des fonctions supposant une proximité avec les salariés en plus de celles anciennement dévolues au comité d'entreprise, c'est-à-dire celles des anciens délégués du personnel et des anciens CHSCT ;
2° la consultation des comités sociaux et économiques d'établissement est, pour une large part, recentrée sur « la politique sociale, l'emploi et les conditions de travail » (Art. L. 2312-26 du C. trav.). Il n'est donc pas absolument nécessaire, dans certains cas, que l'autonomie de gestion exigée du représentant de l'employeur soit mesurée à l'aune des critères de l'exécution du service (pouvoir en matière de comptabilité, de contrôle qualité et de gestion des stocks par exemple). Sa capacité d'influence sur le seul champ de « la politique sociale de l’établissement et ses conditions de travail et d'emploi » pourrait être suffisante. Et cela d'autant plus que c'est dans ces domaines que les délégués du personnel et le CHSCT intervenaient le plus.