Congés payés : le salaire doit inclure les heures supplémentaires habituelles
Passé relativement inaperçu, l'arrêt rendu le 13 janvier dernier par la Cour de justice de l'Union européenne (CJUE) mérite une large diffusion (CJUE 13 janv. 2022, affaire C-514/20).
Cette décision, relative aux règles de décompte des heures supplémentaires, va améliorer les droits des salariés. Y est affirmée, pour la première fois, l'obligation pour les employeurs de considérer les périodes de congés payés comme du temps de travail habituel pour calculer le salaire. Pour le dire autrement : lorsque le salarié prend des congés, l'employeur doit considérer qu'il a travaillé normalement. Donc si ce salarié effectue, en temps normal, des heures supplémentaires, alors on estime qu'il en est de même sur une période de congés… l'objectif étant de maintenir le même niveau de salaire.
Heures supp régulières : elles doivent être payées même pendant les congés
Dans son arrêt du 13 janvier, la CJUE affirme ce principe : un salarié qui effectue de manière habituelle des heures supp ne doit pas renoncer à prendre des congés au motif qu'il va perdre en salaire. Partant de là, l'employeur a l'obligation de le rémunérer, en période de congés, comme s'il avait travaillé normalement, heures supplémentaires comprises.
Quel était le contexte de cette affaire ? En août 2017, un salarié allemand prend 10 jours de congés et travaille 121,75 heures sur les 13 jours restants. En fin de mois, le salarié conteste le montant du salaire reçu. Son raisonnement est le suivant : s'il n'avait pas posé ses congés, il comptabiliserait, un total de 206,45 heures de travail sur le mois d'août 2017, ce qui lui aurait donné droit au paiement d'heures supplémentaires. Le salarié demande donc à être payé à hauteur de ce qu'il aurait perçu s'il avait travaillé normalement.
L'employeur n'est pas de cet avis. Il considère qu'il faut tenir compte uniquement des heures réellement travaillées pour vérifier si le seuil de déclenchement des heures supplémentaires est atteint. Le contentieux est porté devant les juges européens, à charge pour eux de trancher cette question :
Protéger le droit au repos
La Cour de justice de l'Union européenne accorde une importance significative au droit au repos des travailleurs. Le droit aux congés payés, en particulier, fait l'objet de décisions novatrices, bien plus favorables aux salariés que ne l'est le droit français. Dans son arrêt du 13 janvier dernier, la CJUE justifie ainsi la solution retenue (points 32 à 34 de l'arrêt) :
- toute pratique d'un employeur ayant un effet potentiellement dissuasif sur la prise du congé annuel par un travailleur est incompatible avec la finalité de ce droit, à savoir la nécessité de garantir un repos effectif, dans un souci de protection efficace de la sécurité et de la santé des salariés ;
- l'obtention d'une rémunération « ordinaire » (au sens de rémunération habituelle) durant la période de congé annuel payé vise à permettre au travailleur de prendre effectivement les jours auxquels il a droit ;
- si la rémunération versée au titre du congé est inférieure à la rémunération ordinaire que le travailleur reçoit pendant les périodes de travail effectif, celui-ci risque d'être incité à ne pas prendre son congé annuel payé (du moins pendant les périodes où il effectue des heures supplémentaires) ;
- un travailleur peut être dissuadé d'exercer son droit au congé annuel compte tenu d'un désavantage financier, même si celui-ci intervient de façon différée.
Le droit français moins favorable
L'article L. 3121-28 du Code du travail fixe les règles de décompte des heures supplémentaires. Deux cas de figure peuvent se présenter :
- La durée de travail applicable au sein de l'entreprise est la durée légale : les heures supplémentaires sont celles qui sont accomplies au-delà de 35 heures de travail par semaine ;
- La durée de travail applicable dans l'entreprise est inférieure à la durée légale, en application d'un accord collectif : les heures supplémentaires sont celles qui sont effectuées au-delà de la durée de travail prévue par l'accord.
Pour calculer le seuil de déclenchement des heures supplémentaires (donc 35 heures hebdomadaires ou moins), on considère que les jours de congé ne sont pas du temps de travail. La jurisprudence française est constante sur ce point. Ainsi, le salarié qui présente au juge un décompte de ses heures de travail pour en obtenir le paiement ne peut y inclure les périodes de congés payés (Cass. soc. 25 janv. 2017, n° 15-20692).
Cette règle de droit est aujourd'hui remise en cause par la Cour de Justice de l'Union Européenne.
Faire valoir le droit européen
Pas simple, pour un salarié, de demander le paiement d'heures supplémentaires à l'issue d'une période de congés… car l'employeur va nécessairement lui opposer le droit français. Comment se prévaloir des règles européennes ?
Devant le conseil de prud'hommes, il faut invoquer le principe de « l'interprétation conforme » posé par la CJUE dans un arrêt du 6 novembre 2018 (CJUE 6 nov. 2018, aff. 569/16, points 85 et 86). Ce principe, repris récemment par la Cour de cassation, se décline ainsi (Cass. soc. 15 sept. 2021, n° 20-16.010 ; Cass. soc. 2 mars 2022, n° 20-22214) :
- il incombe à la juridiction nationale (donc le conseil de prud'hommes en France) de vérifier si elle peut parvenir à une interprétation du droit interne (donc du Code du travail) permettant de garantir la pleine effectivité du droit aux congés payés garanti par la directive européenne du 4 novembre 2003 ; l'objectif étant d’aboutir à une solution conforme à la finalité poursuivie par la directive (droit au repos, droit à la santé…) ;
- à titre subsidiaire, le justiciable peut invoquer directement l'article 31 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne selon lequel « tout travailleur a droit […] à une période annuelle de congés payés » ; sur le fondement de cet article, le conseil de prud'hommes peut ne pas appliquer le Code du travail lorsque ce dernier est incompatible avec la jurisprudence de la CJUE relative aux congés payés.
Pour ceux qui entendent faire valoir leurs droits, la voie est donc ouverte !
→ l'article 7 de la directive 2003/88 du 4 novembre 2003 relatif au droit au congé annuel payé ;
→ l'article 31 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne (« Tout travailleur a droit à une limitation de la durée maximale du travail et à des périodes de repos journalier et hebdomadaire, ainsi qu’à une période annuelle de congés payés »).
→ l'arrêt de la CJUE du 13 janvier 2022 (CJUE 13 janv. 2022, aff. C-514/20), qui pose le principe de l'assimilation des congés à du temps de travail pour le calcul des heures supplémentaires ;
→ l'arrêt de la CJUE du 6 novembre 2018 (CJUE 6 nov. 2018, aff. 569/16), qui affirme la primauté du droit européen sur les droits nationaux en matière de congés ;
→ la jurisprudence récente de la Cour de cassation qui reprend ce principe de primauté (Cass. soc. 15 sept. 2021, n° 20-16.010 ; Cass. soc. 2 mars 2022, n° 20-22214).
Heures effectivement travaillées + Heures théoriques de travail (durant la période de congés) = 161,67 heures
Ces 161,67 heures correspondent au nombre d'heures habituellement travaillées. Elles se décomposent ainsi : 151,67 (durée légale du travail) + 10 heures supplémentaires effectuées, en moyenne, tous les mois.
Le salarié a donc droit au paiement du total de ces heures avec majoration salariale pour les heures supp (*).(*) Pour rappel, cette majoration est de 25 % si on applique le taux légal. Un taux différent peut être fixé par accord d'entreprise ou par accord de branche (convention collective), sans pouvoir toutefois être inférieur à 10 %.