CDII : la Poste condamnée pour recours abusif
Le CDI intérimaire (CDII) autorise la conclusion d'un contrat de travail à durée indéterminée avec une entreprise de travail temporaire pour l'exécution de missions successives au sein d'entreprises utilisatrices (art. L. 1251-58-1 C. trav.).
Le travailleur intérimaire en CDI peut ainsi se voir confier des missions très différentes (un jour pour remplacer un postier, le lendemain, un boulanger).
La Poste, qui adopte actuellement une politique de non-remplacement des départs, a conclu des contrats cadres avec des entreprises de travail temporaire (notamment Adecco et Manpower) afin de bénéficier d'une main d'œuvre qui reste durablement précaire.
11 intérimaires en CDII en mission au sein de La Poste à Nantes ont demandé à la direction une intégration dans les services postaux en estimant que leurs missions successives d'intérim pendant des mois, voire des années, n'étaient pas conformes aux dispositions légales.
La CGT expliquait que l'intérim, qu'elle soit temporaire ou par CDI, « ne peut avoir ni pour objet ni pour effet de pourvoir durablement un emploi lié à l’activité normale et permanente de l’entreprise utilisatrice » en invoquant les articles L. 1251-5 et L. 1251-6 du Code du travail auxquels renvoie l'article L. 1251-58-4 du même code spécifique au CDI intérimaire.
L'ANI du 11 janvier 2013 à l'origine de la création du CDI intérimaire avait d'ailleurs retenu ce principe : « Les conditions d'emploi et de rémunération des intérimaires, qui seront titulaires d'un CDI, dans des conditions, n'ayant ni pour effet ni pour objet de pourvoir durablement un emploi lié à l'activité normale et permanente de l'entreprise cliente ».
Un recours à l'intérim par La Poste manifestement abusif
Dans les 11 dossiers litigieux, les travailleurs occupaient des emplois permanents de l'entreprise utilisatrice, La Poste. En effet, les intérimaires, par lettres successives de missions de plusieurs semaines ou mois, assuraient prétendument le remplacement de salariés qui étaient en réalité présents dans l'entreprise, voire même retraités ou décédés. De plus, leur mission concernait l'acheminement du courrier postal qui est l'activité normale et permanente de l'entreprise. Le recours à l'intérim était donc manifestement abusif.
La Poste a accepté d'intégrer trois de ces travailleurs. À la suite de cela, cinq ont renoncé à faire valoir leurs droits, et trois ont saisi le conseil de prud’hommes de Nantes pour obtenir la requalification de leur CDI intérimaire en CDI au sein de La Poste.
Les entreprises de travail temporaire ainsi que La Poste soutenaient devant le juge que même si le motif de recours à l'intérim n'était pas justifié, il était incohérent de requalifier un CDI en CDI. Mais de quoi se plaignent ces travailleurs qui bénéficient d'un CDI !
De son côté, les salariés concernés et la CGT ont soutenu que cette situation plaçait les postiers intérimaires dans une situation particulièrement précaire puisque, qu'ils soient en CDII ou en contrat de mission temporaire, leurs conditions de travail et de vie étaient dégradées : pas de tournées fixes, cycles de repos non respectés, vie personnelle et familiale affectée en raison de l'impossibilité de déterminer en amont les congés et l'organisation du planning et impossibilité de faire valoir, le cas échéant, la qualité de « durée indéterminée » de leur contrat de travail face à des services de crédit qui n'y reconnaissent que des contrats d'intérim.
La CGT a également rappelé que le recours à des travailleurs non intégrés à La Poste avait en premier des conséquences sur le service rendu au public mais aussi qu'il fragilisait la représentation du personnel en ayant des incidences sur les effets de seuil qui conditionnent la mise en place certaines instances. Enjeu important quand on sait que le passage en CSE au sein de l'entreprise est prévu pour 2023.
Une demande justifiée de requalification
Le juge a reconnu la cohérence de la demande et a requalifié le CDI intérimaire en CDI au sein de l'entreprise utilisatrice. Le conseil de prud'hommes a en effet constaté que celle-ci n'avait pas respecté les articles L. 1251-5 et L. 1251-6 du Code du travail et que le manquement aux exigences de ces articles est expressément sanctionné par la possibilité pour le salarié de demander une requalification du contrat au terme de l'article L. 1251-40 du Code du travail. Et l'article L. 1251-58-4 sur le CDI intérimaire ne déroge pas à cette règle puisqu'il renvoie à l'article L. 1251-40.
Le caractère de CDI intérimaire ne pouvait donc empêcher la requalification puisqu'il s'agit d'une conséquence légale des manquements constatés. La Poste est ainsi condamnée au paiement de diverses sommes liées à cette requalification (CPH Nantes, Dép., 24 mai 2022, RG F 21/00685, 3 salariés et syndicat CGT 44 c/ S.A. La Poste et SAS Manpower).
Une atteinte à l'intérêt collectif de la profession
Le juge retient également l'atteinte porté à l'intérêt collectif de la profession. En raison du non-respect des règles qui régissent le recours à des salariés intérimaires, augmentant le recrutement de ces derniers au détriment d’un collectif de travail permanent, la Poste a en conséquence été condamnée à payer à la CGT pour ces trois dossiers la somme cumulée de 10 200 € en indemnisation des préjudices subis par la profession et en remboursement des frais de justice.
Afin d'obtenir un maintien dans l'emploi, il conviendrait d'obtenir une audience à une date antérieure à la fin de la lettre de mission en cours. Comme les demandes de requalification doivent être portées devant le bureau de jugement qui statue au fond dans le délai d’un mois suivant sa saisine, cela est en principe possible (art. L. 1251-41 C. trav.).
Les contrats cadres conclus entre les entreprises de travail temporaires et la Poste expirant en juillet 2022, il est encore temps pour les intérimaires concernés de saisir au plus vite le conseil de prud’hommes d'une demande de requalification pour obtenir non pas une indemnisation, mais un maintien durable de l'emploi de postier !