Action en justice : non-paiement des salaires et prescription
Du fait des délais de prescription devenus très courts en droit du travail, il est parfois difficile d'obtenir des rappels de salaire devant le juge. Reste alors la possibilité d'une action en dommages-intérêts, à condition de pouvoir prouver l'existence d'un préjudice particulier.
Mieux vaut ne pas trop traîner avant de saisir les prud'hommes lorsque l'employeur ne paye pas tout ou partie de la rémunération. Le délai de prescription en matière salariale, au-delà duquel il n'est plus possible d'agir, est désormais fixé à trois ans. Mais lorsqu'il existe un préjudice particulier, autre que celui né du non-paiement du salaire, le salarié peut faire une demande de dommages-intérêts. Il dispose alors d'un délai de cinq ans, comme le rappelle un arrêt de la Cour de cassation en date du 9 juillet dernier (Cass. soc. 9 juillet 2014, n° 13-23551, Sté Abbesses).
Les faits
Une salariée, licenciée en novembre 2004, saisit les prud'hommes en mai 2011 d'une demande de rappel de salaire. Son ex-employeur a en effet indûment pratiqué un abattement de 30 % sur sa rémunération brute. La salariée demande également 20 000 euros de dommages-intérêts en raison de la minoration par Pôle emploi de ses indemnités chômage consécutive à cet abattement.
La cour d'appel de Paris rejette ces demandes : la salariée a attendu près de sept ans avant de saisir les prud'hommes, il y a donc prescription. Idem pour la demande de dommages et intérêts, cette dernière dérivant de l'action en rappel de salaire. Pour mémoire, le délai applicable à l'époque était de cinq ans. La salariée forme un pourvoi en cassation.
La prescription, quèsaco ?
La prescription, c'est un délai au-delà duquel il n'est plus possible d'agir en justice. Ou, dit autrement, c'est le délai dont dispose le justiciable pour faire valoir un droit. Il existe plusieurs délais de prescription, qui varient selon la nature de la demande faite au juge. Aux prud'hommes, les délais sont très courts : un an seulement pour contester un licenciement économique ou une rupture conventionnelle (Art. L. 1235-7 et L. 1237-14 du Code du travail), deux ans pour toutes les réclamations portant sur l'exécution ou la rupture du contrat de travail (Art. 1471-1 du Code du travail), trois ans pour un rappel de salaire (Art. L. 3245-1 du Code du travail).
Le salarié qui intente une action en justice pour récupérer des salaires ne peut le faire qu'à compter du jour ou il a connu, ou aurait dû connaître, les faits lui permettant d'agir (Art. 2224 du Code civil). Ce qui correspond généralement à la date d'échéance du versement du salaire. Une précision importante : la prescription ne court pas lorsque la créance, même périodique, dépend d'éléments qui ne sont pas connus du créancier et qui doivent être déclarés par le débiteur (Cass. civ. 1er février 2011, n° 10-30160, Sté Goss international Montataire). Si le salarié n'a pas eu communication par l'employeur des éléments nécessaires à la connaissance de ses droits, la prescription ne peut donc commencer à courir.
Les enjeux
De peur de subir d'éventuelles représailles, le salarié assigne rarement son employeur en justice pendant la relation de travail. Les demandes de rappel de salaire sont généralement faites une fois le contrat rompu. Dans ce cas, ces demandes ne peuvent porter que sur les sommes dues au titre des trois années précédant la rupture (Art. L. 3245-1 du Code du travail). Mais le manque à gagner engendre souvent un préjudice autre que celui résultant du retard ou du défaut de paiement. C'était le cas dans notre affaire : l'abattement indûment pratiqué par l'employeur sur le salaire brut avait entraîné une minoration des indemnités de chômage par Pôle emploi. La salariée pouvait-elle, sur ce fondement, intenter une action en dommages-intérêts, avec un délai de prescription plus long ?
La solution
Comme la cour d'appel, la Cour de cassation rejette la demande de rappel de salaire au motif qu'il y a prescription. En revanche, elle fait droit à la demande de la salariée en ce qui concerne les dommages et intérêts. Les juges retiennent l'existence d'un préjudice spécifique distinct de la demande en paiement des salaires : la baisse du montant des indemnités chômage. Or, à l'époque, il existait une différence de taille entre le délai de prescription d'une action en rappel de salaire (cinq ans) et celui d'une demande de dommages-intérêts (trente ans).
À noter : Malgré des délais de prescription aujourd'hui sensiblement raccourcis (3 ans pour les salaires, 5 ans pour les dommages-intérêts), cette jurisprudence conserve tout son intérêt.
Prescription
Et pour les discriminations ?
Pour les actions en réparation d'un préjudice né d'une discrimination, c'est un régime particulier qui s'applique. Le délai de prescription est de 5 ans, mais le mécanisme peut conduire à une réparation totale. Il est en effet prévu à l'article L. 1134-5 du Code du travail que les dommages et intérêts alloués par le juge réparent l'entier préjudice résultant de la discrimination, pendant toute sa durée. Il faut donc dissocier la durée de la prescription de 5 ans, qui est le délai d'engagement de l'instance une fois la discrimination révélée, de la durée prise en compte par les juges pour évaluer la réparation, à savoir toute la période au cours de laquelle le salarié a été discriminé. Autre précision : le juge, pour apprécier la réalité de la discrimination, peut procéder à des comparaisons avec des salariés engagés à la même date que le salarié discriminé, même si cette date est antérieure à la période non prescrite.
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