6.1.4 Les répliques de l’employeur à la grève
I – Le remplacement des salariés
* Interdiction de recourir à des intérimaires ou des salariés en CDD
Interdiction de recourir à des salariés en CDD. L'article L. 1242-6 du Code du travail interdit de remplacer un salarié dont le contrat de travail est suspendu par suite d'une grève, par un salarié sous contrat à durée déterminée. Cette interdiction est rendue d'autant plus effective que des sanctions pénales visent le recours aux contrats à durée déterminée en cas de conflit collectif (Art. L. 1248-1 du C.T.).
Les salariés, par l'intermédiaire d'un syndicat, peuvent saisir le juge des référés pour faire cesser le remplacement des grévistes par des salariés sous contrat à durée déterminée (Cass. civ. 1re 19 mai 1998, n° 97-13916).
De plus, l'employeur ne peut pas muter des non-grévistes aux postes des grévistes, puis embaucher des salariés sous CDD sur les postes des non-grévistes. Sinon, le chef d'entreprise arriverait à contourner l'interdiction légale de l'article L. 1248-1 du Code du travail.
En revanche, lorsque le salarié a été embauché sous contrat à durée déterminée avant le déclenchement du conflit collectif, la mutation de celui-ci à un poste occupé normalement par un gréviste est envisageable. Mais à condition que le poste occupé à la place d'un gréviste corresponde à la qualification professionnelle prévue dans le contrat à durée déterminée (Cass. soc. 17 juin 2003, n° 01-00332).
Interdiction de recourir à un contrat d'intérim. De la même manière, l'employeur ne peut recourir à des salariés sous contrats de travail temporaires (intérim) pour remplacer des grévistes. Le régime juridique est le même pour les CDD et les intérimaires.
Le non-respect de l'article L. 1251-10 du Code du travail est constitutif d'un délit pénal et le juge des référés peut ordonner sous astreinte la cessation de l'utilisation par l'employeur de salariés intérimaires (Art. L. 1255-1 du C.T. et Art. L. 1255-5 du C.T.).
* Possibilité de recourir à la sous-traitance
L'employeur est en revanche autorisé à recourir à la sous-traitance pour compenser ses pertes de production (Cass. soc. 15 fév. 1979, n° 76-14527). En présence d'une grève, l'entreprise touchée va donc pouvoir demander à une autre société de produire à sa place.
Le recours à la sous-traitance est licite ; cependant, il arrive souvent que sous couvert de sous-traitance les entreprises touchées par une grève aient en réalité recours à du prêt de main d'œuvre illicite. Le contrat de sous-traitance devra donc d'une part, avoir pour objet la réalisation d'un travail déterminé payé forfaitairement qui correspond à l'activité ou à la spécialité du sous-traitant et non pas uniquement à la fourniture de main d'œuvre à but lucratif. Et d'autre part, le travail devra être réalisé sous la responsabilité du sous-traitant.
* Possibilité de recourir aux salariés pour le maintien de la sécurité
Lorsque la cessation de travail s'avère dangereuse pour l'environnement ou le personnel de l'entreprise, l'employeur est autorisé à maintenir, pendant le mouvement revendicatif, une certaine activité dans l'entreprise. Celle-ci, appelée service minimum de sécurité (Cass. soc. 20 fév. 1991, n° 89-40280 et 89-40286) ou encore maintien de l'ordre et de la sécurité dans l'entreprise (Cass. soc. 21 mars 1990, n° 86-44190), assure à l'entreprise une certaine forme de continuité de la production. Dans ces conditions, il peut être difficile de distinguer ce qui relève de ce service minimum de sécurité d'une véritable tentative de poursuivre la production.
La transposition de la directive CEE 89/391 relative à l'amélioration de la santé et de la sécurité des travailleurs, a placé dans le giron de l'article L. 1321-1 du Code du travail, c'est-à-dire du règlement intérieur, les mesures de sécurité à prendre en cas de conflit collectif. C'est donc l'employeur qui décide, et le juge des référés n'a pas de pouvoir en cette matière (Cass. soc. 25 fév. 2003, n° 01-10812).
Néanmoins, ce recours aux salariés doit être conditionnel et limité. En d'autres termes, l'employeur doit en priorité faire effectuer le service minimum de sécurité par les non-grévistes. Ce n'est qu'au cas où les non-grévistes ne peuvent pas assurer ce service minimum que le chef d'entreprise sera autorisé à avoir recours aux grévistes. Ces recours ne doivent pas excéder la durée nécessaire au respect de la sécurité dans l'entreprise (Cass. soc. 1er juil. 1985, n° 82-43804).
Lorsque l'employeur est trop « actif », c'est-à-dire que ce dernier profite du service minimum de sécurité pour poursuivre la production et par conséquent supprimer ou anéantir en partie le droit de grève, il peut être sanctionné. Si le service minimum a été mis en place par l'intermédiaire d'une clause du règlement intérieur, les salariés pourront faire retirer celle-ci ou faire annuler la sanction prise sur le fondement de cette disposition réglementaire instaurant un service minimum trop important (Cons. Et. 12 oct. 1992, n° 94398).
* Mutation des salariés non grévistes
La riposte patronale qui consiste à muter des non-grévistes aux postes occupés en temps normal par des grévistes est licite (Cass. soc. 12 janv. 1983, n° 80-41535 et n° 80-41551).
Cependant, il convient d'envisager l'hypothèse dans laquelle le salarié non gréviste refuse d'exécuter une tâche qui ne relève pas de son contrat de travail. D'une part, le non-gréviste peut, lorsqu'il exprime ce refus, rejoindre les rangs des grévistes. La mutation interne peut faire prendre conscience à un non gréviste de la situation de « briseur de grève » dans laquelle il se trouve.
D'autre part, le non gréviste peut refuser la mutation sans pour autant se déclarer gréviste. Dans ces conditions, sur un plan juridique, cette situation revient à un refus d'une modification des conditions ou du contrat de travail (Cass. soc. 4 oct. 2000, n° 98-43475). En effet, soit on est en présence d'une modification du contrat de travail et le salarié est en droit de la refuser, soit il s'agit d'un simple changement des conditions de travail et dans cette situation le salarié s'expose à des sanctions (Sur la modification du contrat de travail, voir Tome 1 de ce guide, 3e partie, Chapitre 1, n° 3.1.1 à 3.1.3).
Dès lors que l'employeur, au travers de la mutation interne, affecte le salarié non gréviste à l'exécution d'une tâche qui n'est pas prévue au contrat de travail, même temporairement, il y a modification du contrat de travail et pas seulement changement des conditions de travail. Par conséquent, l'employeur ne peut pas imposer cette modification, et doit recueillir l'accord du salarié.
L'employeur est ensuite tenu de rémunérer normalement les non-grévistes (Cass. soc. 4 oct. 2000, n° 98-43475). Ainsi, il est possible de muter temporairement un cadre non-gréviste qui a accepté de travailler sur un poste de production, mais l'employeur doit lui maintenir la rémunération qui correspond à sa qualification.
II – Le lock-out
Le lock-out n'est ni un droit constitutionnel reconnu ni un droit protégé par la loi. En l'absence de dispositions légales sur la régularité du lock-out, c'est la jurisprudence qui détermine les conditions de l'illicéité.
* Qu'est-ce que le lock-out ?
Le lock-out se caractérise par le fait que l'employeur décide, en présence d'une grève, de la fermeture provisoire de l'entreprise. En fermant son entreprise, l'employeur ne fait plus travailler les non-grévistes. L'employeur va avoir comme objectif de créer des dissensions entre grévistes et non-grévistes.
En pratique, on rencontre trois genres de lock-out, distingués en fonction du moment au cours duquel ils interviennent. On peut ainsi retenir le lock-out préventif, concomitant et postérieur à la grève.
Le lock-out préventif. Il équivaut à une fermeture de l'entreprise décidée par l'employeur et préalable à une grève, c'est-à-dire lorsqu'un conflit collectif est en préparation. La Cour de cassation analyse la fermeture de l'entreprise alors qu'aucune grève n'a encore eu lieu comme une volonté de briser un mouvement de grève en préparation, et considère que cette fermeture est constitutive d'une faute (Cass. soc. 5 juin 1973, n° 72-40570).
Le lock-out concomitant à la grève ou « défensif » Il est caractérisé par le fait que l'employeur ferme l'entreprise au début ou au cours d'une grève. L'employeur espère ainsi créer des tensions dans le personnel. La Cour de cassation considère comme illicite la fermeture défensive d'une entreprise à la suite d'un mouvement de grève lorsque certains ateliers continuent à fonctionner, que les salariés assurent la bonne marche des chaînes de montage en remplacement des grévistes et qu'aucune impossibilité de poursuivre le travail n'est établie (Cass. soc. 11 mars 1992, n° 90-42817).
Le lock-out postérieur à la grève. C'est celui qui se poursuit après la cessation du mouvement de grève. L'employeur n'a pas le droit de retarder la reprise du travail après une grève. En effet, la fermeture de l'entreprise, lorsqu'elle est prononcée à la suite immédiate d'une grève et alors que le travail a déjà repris, est interprétée par la Cour de cassation comme une mesure de rétorsion à l'égard des grévistes, et à ce titre est jugée illégale. Tel est le cas lorsque « les ouvriers qui avaient cessé le travail l'avaient déjà repris lorsque l'employeur a brusquement coupé le gaz, l'électricité et l'air, privant ainsi l'usine de ses moyens de production » (Cass. soc. 6 nov. 1974, n° 73-40555) .
* Le régime juridique du lock-out
Le lock-out préventif et le lock-out postérieur à la grève sont toujours considérés comme illicites (Cass. soc. 7 fév. 1990, n° 87-43566, 87-44473 et 87-44488).
L'employeur viole le droit de grève constitutionnel des salariés en les empêchant de faire grève dans le premier cas, et en les empêchant de décider du moment où ils mettent fin à la grève, dans le deuxième cas.
En revanche, le lock-out concomitant à la grève revêt deux caractéristiques. Il peut être licite sous certaines conditions strictement encadrées, et sous d'autres conditions son recours sera une faute contractuelle commise par l'employeur (Cass. soc. 23 oct. 1997, n° 95-19444). En effet, pour la Cour de cassation, l'employeur qui ferme son entreprise pendant la grève méconnaît son obligation contractuelle de fournir du travail aux salariés, susceptible d'engager sa responsabilité à l'égard de chacun des salariés (Cass. soc. 9 nov. 1999, n° 96-45392). Ainsi, en cas de lock-out illicite, ce qui est le principe, les non-grévistes ont droit à des dommages et intérêts qui sont, en règle générale, équivalents aux salaires des journées chômées (Cass. soc. 20 oct. 1976, n° 75-40546).
Il arrive que les juges accordent aux non-grévistes victimes d'un lock-out illicite une somme équivalente aux salaires perdus, plus des dommages et intérêts en fonction du préjudice subi (Cass. soc. 16 mai 1990, n° 87-40962).
Même si l'employeur est contraint d'arrêter totalement certaines activités de l'entreprise du fait de la grève, il doit rémunérer les salariés s'il ne rapporte pas la preuve qu'il était impossible de leur fournir des tâches supplétives (Cass. soc. 30 sept. 2005, n° 04-40193).
Par ailleurs, l'employeur auteur d'un lock-out illicite peut également être condamné à verser des dommages et intérêts aux salariés grévistes pour entrave à l'exercice du droit de grève (Cass. soc. 17 déc. 2013, n° 12-23006). Par exemple, il a été jugé que lorsqu'aucune voie de fait ni aucune situation d'insécurité ou atteinte aux personnes n'est établie, la simple pression des grévistes sur les non-grévistes pour les inciter à cesser le travail ne peut justifier la fermeture de l'entreprise au nom de l'obligation de sécurité de l'employeur vis-à-vis de ses salariés (Cass. soc. 17 déc. 2013, précité).
La jurisprudence admet la possibilité pour l'employeur de fermer son entreprise à la suite d'un mouvement de grève dans des situations très précises, et ce, conformément aux dispositions générales du droit des contrats.
L'existence d'une force majeure – laquelle est un événement imprévisible, irrésistible et extérieur qui rend impossible l'exécution du contrat de travail – peut contraindre l'employeur à fermer son entreprise. Les difficultés à réunir les critères de la notion de la force majeure à l'égard d'une grève ont amené la Cour de cassation à préférer la notion de « situation contraignante ». Tel est le cas lorsqu'il y a eu blocage des accès à l'usine malgré une ordonnance de référé faisant défense à quiconque de s'opposer à la libre circulation des marchandises et fournitures, baisse très importante de la moyenne de fabrication, réalimentation de l'usine impossible malgré les efforts de la direction, risques de défauts de fabrication, voire d'accidents par suite de manque de chauffage, d'air comprimé et d'absence de tous les ouvriers professionnels (Cass. soc. 11 juil. 1989, n° 86-42020).
La fermeture temporaire de l'entreprise, décidée par l'employeur, est légitime lorsqu'elle répond à la nécessité de maintenir l'ordre et la sécurité. La nécessité ou la situation contraignante est ainsi établie (Cass. soc. 7 nov. 1990, n° 89-44264 et n° 89-44288).
C'est à l'employeur qui, à la suite d'un mouvement de grève, procède à une fermeture de l'entreprise, d'apporter la preuve d'une situation contraignante de nature à se libérer de son obligation de fournir du travail à ses salariés (Cass. soc. 7 fév. 1990, n° 87-43566 et Cass. soc. 30 sept. 2005, n° 04-40193).
III – La réquisition
Réquisitionner signifie contraindre un salarié (souvent gréviste) à reprendre le travail.
Une loi générale datant de 2003 a élargi la possibilité de réquisitionner à l'ensemble des entreprises du secteur privé. Mais ce droit n'appartient pas à l'employeur. En effet, le travail forcé étant interdit, le droit de grève étant constitutionnel, dans les entreprises privées, l'employeur (sauf texte légal spécifique), ne peut pas s'arroger ce droit, même pour des raisons de sécurité (Cass. soc. 15 déc. 2008, n° 08-43603).
Il en va également ainsi pour le juge des référés, même en cas de dommage grave et imminent (Cass. soc. 25 fév. 2003, n° 01-10812).
Seul le préfet est habilité à prendre une telle décision par le biais d'un arrêté motivé. Mais la situation doit être urgente et grave pour justifier un tel acte. Il faut donc que l'ordre public, la tranquillité, la salubrité ou encore la sécurité soient menacés (Art L. 2215-1 du Code général des collectivités territoriales).
De plus, les mesures décidées par le préfet doivent être proportionnées aux nécessités de l'ordre public, elles ne doivent pas avoir pour but ou effet de rétablir un service normal dans l'entreprise (TA Melun, 22 oct. 2012, n° 1007309).
Cela signifie que l'arrêté doit définir la nature des prestations requises, limiter la durée de la réquisition et en déterminer les modalités concrètes. Lorsque les salariés non grévistes sont en nombre suffisant pour assurer l'ordre public ou quand des mesures alternatives peuvent être prises, les réquisitions sont en principe impossibles (Cons. Et. 9 déc. 2003, n° 262186).
Cependant le Conseil d'État a indiqué que ces dispositions alternatives devaient être « plus efficaces » que la réquisition elle-même (Cons. Et. 27 oct. 2010, n° 343966), ce qui augmente largement les possibilités de réquisitionner.
* La situation du salarié
Les salariés grévistes contraints de reprendre le travail du fait d'un arrêté préfectoral sont rémunérés. À l'inverse, le refus de se soumettre à l'arrêté est sévèrement puni puisqu'il s'agit d'un délit qui peut être puni de six mois d'emprisonnement et de 10 000 euros d'amende (Art. L. 2215-1 du Code général des collectivités territoriales).
* Le contentieux
En matière de réquisition, le juge administratif est compétent. En cas d'atteinte manifestement illicite au droit de grève, et pour contester une réquisition en cours, l'utilisation de la procédure de référé liberté est possible. Le juge est alors tenu de trancher sous 48 heures, il a le pouvoir de suspendre les réquisitions.