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CONVENTIONS ET ACCORDS COLLECTIFSAccords de performance collective

Pourquoi se méfier des accords de performance collective ?

Publié le 5 septembre 2018
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Pourquoi se méfier des accords de performance collective ?

Accords de compétitivité nouvelle formule, les accords de performance collective donnent aux employeurs une grande liberté et peuvent remettre en cause des éléments du contrat de travail qu'on pouvait croire protégés.

Les accords de performance collective (APC) (art. L. 2254-2 du Code du travail) ont été conçus pour simplifier la vie des entreprises qui souhaitent engager des changements — parfois importants — avec des contraintes moindres. Les APC se caractérisent par le fait qu'ils peuvent être négociés hors contexte économique sensible et par leur contenu libre. Seule contrainte : rédiger un préambule présentant les objectifs poursuivis. En outre, les APC peuvent être conclus avec des délégués syndicaux, mais aussi, sous certaines conditions avec des élus, y compris dans de toutes petites structures. Ce, dans un cadre général de la négociation collective transformé où les règles fixées dans l'entreprise peuvent largement déroger à la loi ou aux règles conventionnelles de branche.

Qu'est-ce qu'un APCCréés par l'ordonnance n° 2017-1385 du 22 septembre 2017, les accords de performance collective pourraient aussi s'appeler « accords de compétitivité ». Ils fusionnent quatre dispositifs qui, pour certains, ont à peine eu le temps de s'appliquer : les accords de réduction de travail, les accords de maintien de l'emploi, les accords de préservation ou développement de l'emploi, enfin les accords de mobilité interne. Ils ne peuvent pas être mis en place par l'employeur unilatéralement ; ils sont forcément négociés. En revanche, aucune contrepartie en termes d'emploi ou autre n'est légalement exigée. Selon nous, l'accord devrait toutefois en comporter, et prévoir les modalités de retour aux conditions de travail initiales si les objectifs sont atteints. Mais sur ce dernier point, rien n'est obligatoire non plus.

Contexte et contenu

Le champ de l'APC est très ouvert. Il n'est pas nécessairement conclu pour parer aux difficultés économiques de l'entreprise. Il peut avoir pour objectif de préserver ou développer l'emploi ou plus simplement de répondre aux nécessités liés au fonctionnement de l'entreprise, ce qui est vaste. L'accord pourra aménager la durée du travail, ses modalités d'organisation et de répartition, aménager la rémunération — dans le respect du SMIC et des minima conventionnels — ou encore déterminer les conditions de mobilité professionnelle ou géographique internes à l'entreprise.

Des effets potentiellement ravageurs

Le dispositif met à mal le principe selon lequel un accord collectif, auquel l'employeur est lié, s'impose aux contrats de travail conclus avec lui, à l'exception des clauses contractuelles qui sont plus favorables (art. L. 2254-1 du C. trav.).

En effet, les stipulations de l'APC se substituent de plein droit aux clauses contraires et incompatibles du contrat de travail, y compris en matière de rémunération, de durée du travail et de mobilité professionnelle ou géographique interne à l'entreprise (art. L. 2254-2, III, du C. trav.). Autrement dit, si un accord de performance collective est signé, les droits contractuels ne sont plus « protégés ». Le salarié ne peut plus se prévaloir des éléments qui ont été déterminants au moment où il a signé son contrat de travail.

Par exemple, une entreprise en parfaite santé financière pourrait décider de déménager à 100 km, sans que les salariés puissent s'y opposer. Il faut compter alors sur des négociateurs exigeants pour obtenir des primes ou autres aides spécifiques liée à cette mobilité subie.

Le salarié n'est pas assuré du maintien de sa rémunération contractuelle

Dans le cadre d'un APC, les salariés n'ont que la garantie du maintien des salaires minima hiérarchiques. Ces derniers sont définis au niveau des branches et font partie du bloc de règles qui ne peuvent être minorées par accord d'entreprise (art. L. 2253-1, I, 1° du C. trav.). Si l'APC augmente le nombre d'heures de travail, la rémunération des salariés devra à minima suivre le smic horaire, qui est d'ordre public, et les minima conventionnels de branche (qui eux-mêmes ne peuvent pas être en dessous du smic). Les primes fixées dans la profession ne font pas partie du bloc de primauté de la branche et peuvent être supprimées ou diminuées par un APC.

Durée et organisation du temps de travail

Parmi diverses mesures, un accord de performance collective peut mettre en place ou modifier un dispositif de forfait annuel en heures ou en jours applicable dans l'entreprise. Les règles diffèrent selon que l'accord met en place le dispositif, ou modifie les forfaits annuels existants (art. L. 3121-63, L. 3121-54 et L. 3121-55 du C. trav.). L'APC peut également aménager le temps de travail sur une période de référence supérieure à la semaine, le cadre légal de mise en œuvre devant alors être respecté.

Et si le salarié refuse ?

Le salarié qui refuse de poursuivre son contrat aux nouvelles conditions s'expose à un licenciement. La formulation de la loi « le salarié peut refuser la modification de son contrat de travail résultant de l'application de l'accord » limite selon nous la possibilité de refus du salarié à la seule hypothèse de la modification de son contrat de travail. Lorsque l'accord n'entraine qu'un changement des conditions de travail du salarié, l'opposition de ce dernier pourrait constituer une faute ou une cause réelle et sérieuse justifiant un licenciement disciplinaire.

Licenciement au motif spécifique (sui generis)

Si l'employeur décide de congédier les salariés récalcitrants, le licenciement repose sur un motif spécifique, dit sui generis, qui constitue une cause réelle et sérieuse (art. L. 2254-2-V du C. trav.). À l'instar de ce qui existait dans le dispositif des accords de préservation ou développement de l'emploi, le motif de licenciement est préconstitué, ce qui rend les contentieux sur l'absence de cause réelle et sérieuse très aléatoires.

Bien que non inhérent à la personne du salarié, le licenciement n'a pas un motif économique. La procédure appliquée est celle du licenciement pour motif personnel.

L'employeur n'a donc pas d'obligation en matière de consultation des représentants du personnel, de plan de sauvegarde de l'emploi, de reclassement, de priorité de réembauche, etc. C'est bien sûr l'une des dispositions les plus contestables des APC qui permet aux employeurs de procéder à des licenciements collectifs peu coûteux.

Comment les choses se déroulent-elles ?

Information du salarié et expression de son refus

L'employeur doit informer, par tout moyen conférant date certaine et précise (e-mail, lettre donnée en main propre contre décharge, lettre recommandée AR) les salariés couverts par l'accord de son existence et de son contenu, et du droit de chacun d'accepter ou de refuser l'application de l'accord à son contrat de travail.

À compter de la date de cette information, les salariés disposent d'un mois pour faire connaître leur refus par écrit (art. L. 2254-2, IV du C. trav.). La loi n'exigeant pas de réponse écrite pour le cas où le salarié ne s'oppose pas à l'application de l'accord, l'absence de courrier vaut acceptation tacite de sa part.

Procédure de licenciement et droits des salariés licenciés

L'employeur a deux mois pour engager une procédure de licenciement à compter du refus du salarié. Pendant deux mois maximum, deux « statuts » peuvent théoriquement coexister : celui des salariés qui ne se sont pas opposés à l'application de l'accord au terme du délai de réflexion, et auxquels l'accord s'applique, et celui de ceux qui s'y sont opposés, mais qui n'ont pas encore quitté l'entreprise.

Le ou les intéressés doivent être convoqués à un entretien préalable, à l'issue duquel ils reçoivent notification de leur licenciement. Ils sont tenus d'effectuer un préavis, sauf dispense, et reçoivent à leur départ de l'entreprise les documents légaux (certificat de travail et solde de tout compte). Leurs droits sont limités : la loi n'a prévu pour eux que l'abondement du compte personnel de formation qui, à défaut de dispositions plus favorables dans l'accord, est fixé à 100 heures. Ils peuvent s'inscrire et être accompagnés comme les demandeurs d'emploi et être indemnisé dans des conditions identiques. La définition, par l'APC, de conditions spécifiques d'accompagnement est facultative.

 

Nouveaux embauchés


On suppose que les salariés embauchés alors que l'APC est en cours ont un contrat de travail « calé » sur l'accord applicable. Si l'on considère qu'au terme de l'accord, les salariés de l'entreprise recouvrent leurs anciennes conditions de travail, les « derniers arrivés » peuvent, sauf avenant à leur contrat de travail, se retrouver dans une situation d'inégalité. L'information relative aux textes collectifs applicables, donnée par l'employeur au moment de l'embauche (art. R.2262-1, 1° du C. trav.), trouve ici toute son utilité. S'il le peut, le futur salarié aurait intérêt à anticiper et demander que ses droits contractuels soient alignés sur ceux de ses collègues en cas de retour aux conditions initiales. 

Salariés en CDD


Les salariés en CDD pourraient refuser l'application de l'APC à leur contrat de travail sans s'exposer à la rupture de leur contrat de travail avant terme. En effet, légalement la rupture anticipée du CDD n'est possible que dans des cas limités et cette éventualité n'a pas été envisagée par l'article L. 2254-2 du Code du travail.

Les modifications du contrat de travail sont-elles définitives ?


Les clauses du contrat étant substituées, c'est-à-dire remplacées, la modification du contrat doit-elle être considérée comme irréversible ? Ou bien, le salarié doit-il recouvrer ses droits contractuels antérieurs au terme de la période d'application de l'APC ? Cette question devra selon nous être tranchée par les juges, sauf à ce que l'APC lui-même organise les effets de l'arrivée à terme de l'accord.Comme les accords de droit commun, un APC peut définir sa durée d'application, déterminée ou indéterminée. À défaut, l'accord aura une durée maximale de 5 ans. Arrivé à son terme, il cesse de produire effet (art. L. 2222-4 du C. trav.). Si l'APC a une durée déterminée, il serait cohérent qu'il prévoit la situation des salariés à son terme. Cela reste toutefois une option pour les signataires.En revanche, s'il est conclu pour une durée indéterminée, il semblerait que la modification des contrats de travail soit elle aussi pour une durée indéterminée. L'accord peut cependant être révisé ou dénoncé — notamment par les signataires salariés — et cesser alors de s'appliquer.  Dans cette hypothèse, la question reste entière.L'idée de modification définitive s'accorde avec le caractère indéterminé de la durée de l'accord, le fait que le terme « substitution » ait été préféré au mot « suspension » et que certains changements soient irréversibles (un changement de lieu de travail par exemple).
En revanche, certains arguments plaident contre la modification définitive du contrat de travail :

  • la loi n'oblige pas les parties à signer un avenant au contrat de travail, l'acceptation de l'application de l'accord n'est pas formalisée ;
  • si l'accord est à durée déterminée, d'un point de vue juridique, il est difficilement concevable qu'un accord collectif cesse de s'appliquer et qu'en même temps ses effets sur les contrats de travail soient pérennisés ;
  • l'idée que les contrats de travail puissent muter constamment au gré des accords collectifs revient à vider le contrat de travail de sa substance.

 

Pour en savoir plusLes accords de performance collective, RPDS n° 879, juil. 2018, p. 227 et suiv. Carles,
« Durée et aménagement du temps de travail après la loi du 8 août 2016 », RPDS 2017, n° 862, p. 45. Abonnez-vous sur nvoboutique.fr