L’action de groupe pour discrimination dans les relations de travail
La non-discrimination entre les êtres humains est un principe fondamental qui relève du principe constitutionnel d'égalité. Elle a fait l'objet de nombreux développements doctrinaux et jurisprudentiels. Et le législateur est intervenu à différentes reprises, complétant souvent les dispositions du Code du travail. L'article L. 1132-1 du Code du travail, qui énumère tous les types de discrimination prohibés, cite notamment les activités syndicales ou mutualistes.
Le Code du travail affirme la nullité de toute sanction discriminatoire (art. L. 1132-4), ce qui doit déboucher dans tous les cas sur une remise en état, ainsi que son caractère abusif ouvrant droit à des dommages-intérêts (art. L. 2141-8). En outre, toute mesure discriminatoire peut faire l'objet de sanctions pénales pour délit d'entrave. Et un cadre peut être licencié pour faute grave en cas d'agissements discriminatoires réitérés à l'encontre de représentants du personnel (Cass. soc. 5 juillet 2011, n° 10-15980).
L'arsenal législatif et jurisprudentiel existant pour lutter contre les discriminations ne protège pourtant pas suffisamment les salariés d'éventuelles représailles de la part de l'employeur. C'est pourquoi, à l'instar de ce qui se pratique déjà en Allemagne et Royaume-Uni, afin d'assurer l'effectivité du droit, il a été proposé l'instauration d'une action de groupe initiée par les organisations syndicales dans le cadre d'un droit de substitution, ou par des associations. Un rapport sur l'action de groupe en droit du travail a été remis à cet effet par la Cour de cassation en décembre 2013 au ministre compétent. Certaines propositions permettaient aux tribunaux de condamner les entreprises ayant des pratiques discriminatoires. Elles permettaient aussi aux victimes de s'appuyer sur un jugement pour obtenir des mesures individuelles de réparation et de remise en état au conseil des prud'hommes. Mais le Gouvernement y a renoncé en 2014 suite aux protestations du Medef.
Une nouvelle proposition de loi adoptée en première lecture le 10 juin 2015 par l'Assemblée nationale a été finalement intégrée au projet de loi du Gouvernement relatif à la « justice du xxie siècle » devenu la loi du 18 novembre 2016. Elle permet désormais à un groupe de personnes discriminées d’agir par le biais d’une seule et unique action collective sans s'exposer aux représailles de l'employeur et d'avoir une décision unique pour tous plutôt que plusieurs décisions éventuellement contradictoires résultant d'actions individuelles. Un décret du 6 mai 2017 a complété le dispositif pour permettre la mise en œuvre des premières actions devant le juge judiciaire ou devant le juge administratif.
Qui peut intenter l'action ?
Cette possibilité est ouverte à toute organisation syndicale de salariés représentative. Elle peut agir devant une juridiction civile afin d'établir que plusieurs candidats à un emploi, à un stage ou à une période de formation en entreprise ou plusieurs salariés font l'objet d'une discrimination, directe ou indirecte, fondée sur un même motif et imputable à un même employeur (Art. L. 1134-7 du Code du travail).
L'action peut tendre à la cessation du manquement et, le cas échéant, en cas de manquement, à la réparation des préjudices subis (Art. L. 1134-8 du Code du travail).
L'action est également ouverte à toute association régulièrement déclarée depuis au moins cinq ans intervenant dans la lutte contre les discriminations ou œuvrant dans le domaine du handicap, mais uniquement pour la défense des intérêts de plusieurs candidats à un emploi ou à un stage en entreprise.
Seules les actions dont le fait générateur de la responsabilité ou le manquement est postérieur au 20 novembre 2016 sont concernées.
Comment s'engage l'action ?
L'organisation syndicale qui souhaite engager une action collective doit demander à l'employeur, par tout moyen conférant date certaine à cette demande, de faire cesser la situation de discrimination collective. Ce dernier, dans le délai d’un mois à compter de la réception de la demande, doit informer le comité d'entreprise ou, à défaut, les délégués du personnel, ainsi que les organisations syndicales représentatives dans l'entreprise.
Si le comité d'entreprise ou, à défaut, les délégués du personnel ou une organisation syndicale représentative en fait la demande, l'employeur doit engager une discussion sur les mesures permettant de faire cesser la situation de discrimination collective alléguée.
C'est seulement à l'expiration d'un délai de six mois à compter de la demande tendant à faire cesser la situation de discrimination collective alléguée, ou à compter de la notification par l'employeur du rejet de la demande, que l'action de groupe peut être engagée devant le tribunal de grande instance du lieu où demeure le défendeur » (Art. 826-3 du code de proc. civ.). L’assignation en justice doit exposer expressément, « à peine de nullité », les cas individuels présentés par le syndicat ou l’association au soutien de son action (Art. 826-4 du code de proc. civ.).
Dans quel but engager l'action ?
L’action de groupe en matière de discrimination peut tendre à la cessation du manquement et, le cas échéant, à la réparation des préjudices subis. S’agissant la discrimination au travail, le Code du travail vise également la réparation des préjudices moraux.
Lorsque l’action de groupe tend à la cessation du manquement, le juge, s’il constate l’existence d’un manquement, enjoint au défendeur de le cesser ou de le faire cesser et de prendre, dans un délai qu’il fixe, toutes les mesures utiles à cette fin, au besoin avec l’aide d’un tiers qu’il désigne. Lorsque le juge prononce une astreinte, celle-ci est liquidée au profit du Trésor public.
Pour ce qui concerne la réparation des préjudices, la loi comporte une limite de taille : elle ne permet, en principe, que la réparation des préjudices nés après la réception par l'employeur de la demande qui lui est faite de cesser la discrimination alléguée (Art. L. 1134-8 du Code du travail). L'action individuelle devant le conseil de prud'hommes en réparation des préjudices antérieurs à l'information de l'employeur non réparés dans le cadre de l'action de groupe est donc toujours nécessaire (lire le numéro spécial 797-798 de la RPDS, sept.-oct. 2011). D'ailleurs, si une action de groupe est engagée, elle suspend la prescription des actions individuelles en réparation des préjudices résultant des manquements constatés par le juge. Le délai de prescription ne recommence à courir qu’à compter de la date à laquelle le jugement ni l’action de groupe ne sont plus susceptibles de recours ordinaire ou de pourvoi en cassation. En tout état de cause, le délai de prescription ne peut, alors, être inférieur à six mois.
Comment obtenir réparation du préjudice dans le cadre de l'action de groupe ?
Le juge doit d'abord statuer sur la responsabilité de l'employeur défendeur. Il doit également dans son jugement :
– définir le groupe de personnes à l’égard desquelles la responsabilité du défendeur est engagée en fixant les critères de rattachement au groupe ;
– déterminer les préjudices susceptibles d’être réparés pour chacune des catégories de personnes constituant le groupe qu’il a défini ;
– fixer le délai dans lequel les personnes répondant aux critères de rattachement et souhaitant se prévaloir du jugement sur la responsabilité peuvent adhérer au groupe en vue d’obtenir réparation de leur préjudice.
Les personnes souhaitant adhérer au groupe sont tenues d’adresser une demande de réparation soit à la personne déclarée responsable par le jugement, soit au demandeur à l’action, qui reçoit ainsi mandat aux fins d’indemnisation. La personne déclarée responsable procède alors à l’indemnisation individuelle des préjudices.
Le tribunal de grande instance connaît des demandes en réparation auxquelles l'employeur n’a pas fait droit.
La CGT engage la première action de groupe
S'appuyant sur la loi du 18 novembre 2016, la CGT a lancé le 23 mai 2017 une action de groupe contre Safran Aircraft Engines (ex-Snecma) qu'elle accuse de discrimination syndicale contre trente-quatre militants CGT.
Lors d'une conférence de presse, le syndicat CGT de Safran, la fédération CGT de la métallurgie, la confédération CGT et le collectif d'avocats des trente-quatre salariés indiquent avoir de « faire cesser la discrimination » . C'est là le premier acte d'une procédure qui pourrait être longue si la direction du groupe ne met pas à profit les six prochains mois pour ouvrir une négociation afin d'en finir avec ces discriminations et de réparer les préjudices.
Cette procédure concerne des hommes et femmes élu-es et mandaté-es CGT de différents sites de Safran Aircraft Engines, ouvrier·es ou technicien·nes, qui contestent leur évolution de carrière. Ce n'est hélas pas la première fois que la question est soulevée dans cette entreprise puisque dès le début des années 2000, Safran Aircraft Engines a été condamnée et contrainte de régler, dans un protocole de fin de contentieux le 23 décembre 2004, la situation de cent dix neuf syndiqués CGT. Mais pour Véronique Moreau, déléguée syndicale centrale qui figure parmi les 34, si Safran Aircraft Engines a été condamné en 2004 et si un protocole de fin de contentieux a été signé, « cela n'a pas empêché la poursuite des discriminations ».
Pour la CGT, la loi « Justice au XXIe siècle » n'est « pas allée au bout » en posant des « limites » à l'action de groupe. Elle réclame notamment une « réparation intégrale du préjudice », et pas seulement après la mise en demeure (Voir la conférence de presse en vidéo sur www.nvo.fr).