Comment prouver les heures supplémentaires ?
Selon les derniers chiffres de l'Insee, les salariés français travaillent en moyenne 39 heures hebdomadaires (« Emploi, chômage, revenus du travail », édition 2020, Insee.fr). Toutes les semaines, quatre heures supplémentaires sont donc, en moyenne, effectuées. Mais bien rares sont les travailleurs qui pensent à en conserver la preuve. Aussi, en cas de litige, lorsque ces heures ne sont pas payées, toute action aux prud'hommes semble perdue d'avance. Faute d'éléments « sérieux » à présenter au juge, beaucoup renoncent à faire valoir leurs droits. Or, dans ce type de contentieux, la jurisprudence est plutôt favorable. Il ne faut donc pas hésiter à se lancer.
Mécanisme de preuve partagée
En cas de procès sur des heures de travail non payées, la charge de la preuve est partagée entre l'employeur et le salarié. C'est l'article L. 3171-4 du Code du travail qui organise le rôle des parties au procès.
Côté salarié, des éléments suffisamment précis doivent être présentés à l'appui de sa demande. Les juges font toutefois preuve de souplesse : dans un arrêt récent, un planning établi par le salarié ne mentionnant pas les temps de pause a été accepté (Cass. soc. 27 janvier 2021, no 17-31046).
Côté employeur, des documents de contrôle du temps de travail justifiant les horaires effectivement réalisés doivent être fournis.
Le juge procède ensuite à une évaluation du dossier de chaque partie. Si l'employeur, lors de la relation de travail, n'a pas procédé au contrôle des heures effectuées, alors son dossier sera vide. Un bon point pour le salarié.
Obligations de l'employeur
Une responsabilité particulière pèse sur l'employeur en matière de temps de travail. Dans toute entreprise, les documents nécessaires au décompte de la durée de travail doivent être établis pour chaque salarié non soumis à un horaire collectif (art. L. 3171-2 du C. trav.). Si ce décompte est assuré par un système d'enregistrement automatique, celui-ci doit être fiable et infalsifiable (art. L. 3171-4 du C. trav.). Ces documents sont tenus à la disposition de l'inspection du travail, en cas de contrôle (art. L. 3171-3 du C. trav). La Cour de justice de l'Union européenne (CJUE) a ajouté cette précision importante : un système objectif, fiable et accessible doit permettre de mesurer la durée du temps de travail journalier effectué par chaque travailleur. Il en va de la préservation de la santé et de la sécurité des salariés (CJUE, 14 mai 2019, no C-55/18, points 60 à 63).
En cas de litige relatif à l'existence d'heures supplémentaires non payées, il incombe donc à l'employeur de fournir au juge les éléments de nature à justifier les horaires effectivement réalisés par le salarié. Concrètement, il ne peut se borner à contester les éléments produits par le salarié sans en proposer d'autres.
Autre point important, c'est à l'employeur de démontrer que les temps de pause et de repos (quotidiens ou hebdomadaires) ont bien été respectés (Cass. soc. 20 fév. 2013, no 11-21848). Même chose pour la prise des congés payés (Cass. soc. 13 juin 2012, no 11-10929). Enfin, si le salarié est en forfait jour, alors la preuve du contrôle de la charge de travail et de l'amplitude des journées travaillées pèse exclusivement sur l'employeur (Cass. soc. 19 déc. 2018, no 17-18725).
Quels sont les éléments que peut présenter le salarié ?
Bien sûr, il est préférable de se présenter devant le juge prud'homal avec un dossier étoffé comportant, par exemple, des témoignages de collègues ou d'anciens collègues, de clients, de fournisseurs ou encore des photos de planning, des captures d'écran avec les dates et les heures, etc. Mais le manque de preuves ne doit pas conduire au découragement.
Voici quelques exemples d'éléments retenus par les juges en l'absence de preuves apportées par l'employeur :
– tableaux Word dans lesquels le salarié, en télétravail, a lui-même récapitulé ses heures supplémentaires (Cass. soc. 8 juillet 2020, no 18-26385) ;
– fiches horaires de travail établies et remplies par le salarié sur la base de modèles types fournis par l'employeur (Cass. soc. 10 mai 2000, no 98-40736) ;
– fiches de saisie informatique enregistrées par le salarié sur l'intranet de l'entreprise et contenant le décompte journalier des heures travaillées (Cass. soc. 24 janvier 2018, no 16-23743) ;
– relevés de pointage enregistrés par le salarié dans le logiciel informatique de la société (Cass. soc. 8 juillet 2020, no 18-23366) ;
– tableaux récapitulatifs établis par le salarié détaillant, par semaine, ses heures supplémentaires et la mention de ses horaires de travail, accompagnés de courriels envoyés, attestations, ordres de mission et notes de frais (Cass. soc. 3 février 2021, no 19-20375) ;
– décompte établi par le salarié mentionnant, jour après jour, les heures de prise et de fin de service du salarié (itinérant), ainsi que celles de ses rendez-vous professionnels et les magasins visités, le nombre d'heures de travail quotidien et le total hebdomadaire (Cass. soc. 27 janvier 2021, no 17-31046).
Rôle du juge
Le juge forme sa conviction au vu des éléments fournis par les parties au procès. Il peut, le cas échéant, ordonner des mesures d'instruction. Si l'employeur est dans l'incapacité de présenter des documents de contrôle et de décompte du temps de travail, alors seuls les éléments présentés par le salarié sont pris en compte.
Lorsque l'existence d'heures supplémentaires est retenue, le juge évalue leur importance, sans être tenu de préciser le détail de son calcul. Il fixe ensuite le rappel de salaire correspondant (Cass. soc. 18 mars 2020, no 18-10919).