Maintien du contrat dans l’attente d’un CDI
Pour sanctionner les recours abusifs aux contrats précaires, le législateur a permis aux salariés qui en sont victimes (et aux organisations syndicales) d'agir devant le juge prud'homal pour les faire requalifier en contrat à durée indéterminée. Mais il n'est pas rare que le salarié ayant demandé la requalification en CDI ne soit déjà plus dans l'entreprise lorsque le juge lui donne raison. Cela permet certes à l'intéressé d'être indemnisé comme s'il avait été licencié mais pas de conserver son emploi. Une décision récente de la Cour de cassation peut être utilisée pour faire en sorte que le salarié puisse rester dans l'entreprise tant que le juge ne s'est pas prononcé sur sa demande.
De la difficulté de préserver l'emploi en cas de requalification d'un CDD en CDI
Selon l'article L. 1245-2 du Code du travail, lorsque le conseil de prud’hommes est saisi d’une demande de requalification d’un contrat de travail à durée déterminée (CDD) en contrat à durée indéterminée (CDI), l’affaire est directement portée devant le bureau de jugement qui statue au fond dans le délai de un mois suivant sa saisine.
Il arrive fréquemment qu'un salarié embauché sous CDD s'adresse au conseil de prud'hommes avant le terme de son contrat pour demander cette requalification et la condamnation de l'employeur à lui verser une indemnité de requalification. Lorsque la décision de requalification est notifiée avant le terme du contrat, l'employeur doit en principe conserver le salarié à son service au-delà du terme initialement prévu.
Mais en pratique, bien qu'elle doive se prononcer dans le délai de un mois, c'est souvent après la fin du contrat que la juridiction prud'homale rend son jugement. Même si les juges donnent raison au salarié, ce dernier n'est donc plus dans l'entreprise. Et en l’absence de disposition prévoyant la nullité du licenciement et à défaut de violation d’une liberté fondamentale, il ne peut pas exiger sa réintégration dans l’entreprise (Cass. soc. 30 oct. 2013, n° 12-21205). Toutefois, le salarié sera considéré comme licencié de manière définitive. Et l'employeur n'ayant pas respecté la procédure de licenciement, ni fourni de motifs écrits dans une lettre de licenciement, le licenciement est irrégulier en la forme et dépourvu de cause réelle et sérieuse. Mais une réparation indemnitaire, si elle est toujours souhaitable, ne remplace pas la préservation de l'emploi.
Pour contourner cette difficulté, certains salariés saisissent parallèlement la formation de référé du conseil de prud'hommes en demandant qu'elle prononce la poursuite des relations contractuelles jusqu’à ce que le bureau de jugement du CPH se soit prononcé sur le fond. Si celui-ci requalifie le CDD en CDI, le salarié étant demeuré dans l'entreprise, la poursuite de la relation de travail est facilitée puisque le salarié n'a pas à demander sa réintégration.
Mais si certains juges du fond avaient validé une telle solution, la Cour de cassation avait été jusqu'alors réticente à se prononcer en ce sens.
Le fond contre la forme ?
Deux salariés avaient été engagés par la caisse générale de Sécurité sociale de la Guyane en qualité d’agents administratifs dans le cadre de contrats à durée déterminée du 20 décembre 2010 au 19 mars 2011 pour surcroît d’activité. Avant le terme de leur contrat, les salariés ont saisi le 10 mars 2011 la juridiction prud’homale statuant en référé, pour obtenir la requalification de leur contrat à durée déterminée en contrat à durée indéterminée et la condamnation de la caisse à leur verser une indemnité de requalification. Ils invoquaient l'article R. 1455-6 du Code du travail aux termes duquel la formation de référé peut toujours, même en présence d’une contestation sérieuse, prescrire les mesures conservatoires ou de remise en état qui s’imposent pour prévenir un dommage imminent ou pour faire cesser un trouble manifestement illicite. Le 17 mars 2011, ils ont saisi aux mêmes fins le bureau de jugement du conseil de prud'hommes pour qu'il se prononce sur le fond. Par ordonnance de référé rendue le 18 mars 2011, soit la veille du terme des contrats, la formation de référé du CPH a ordonné la poursuite des contrats de travail.
Saisie par l'employeur, la cour d'appel a désavoué les conseillers prud'hommes en déduisant de l'article L. 1245-2 du Code du travail que l’appréciation du contrat, sa requalification et sa poursuite sont des questions de fond relevant de la compétence exclusive des juges du fond et échappant au juge des référés. Et elle a rejeté l'application de l'article R. 1455-6 en considérant que le risque de non-renouvellement des contrats à durée déterminée ne peut pas constituer un dommage imminent justifiant la compétence en référé alors que l’existence de ce dommage suppose l’appréciation et l’interprétation des règles de droit régissant le contrat à durée déterminée, ce qui relève du fond de l’affaire.
La poursuite de la relation contractuelle privilégiée par la Cour de cassation
La Cour de cassation a finalement donné raison aux salariés. La perte de l'emploi par l’effet de la survenance du terme, durant la procédure, du CDD toujours en cours au moment où le juge des référés statue, constitue bien un dommage imminent. Ce dommage est en effet de nature à priver d’effectivité le droit pour le salarié de demander la requalification d’un CDD irrégulier en CDI afin d’obtenir la poursuite de la relation contractuelle avec son employeur. Le juge des référés était dès lors bien compétent pour ordonner le maintien des salariés dans l'entreprise (Cass. soc. 8 mars 2017, n°15-18560).
Cela ne préjuge pas évidemment de l'appréciation que portera le bureau de jugement sur le fond. Mais l'articulation entre les deux procédures constitue un moyen efficace pour garantir au salarié la préservation de son emploi.
Et il y a une certaine logique à la solution retenue. Elle rétablit l'équilibre entre les salariés qui engagent une procédure au fond et dont la décision de requalification est notifiée avant le terme du contrat et ceux dont la demande serait trop tardive pour permettre au juge du fond de se prononcer dans le délai de un mois. Le juge des référés intervient ici en garant du droit à un procès équitable puisque l'arrêt a été également rendu sur le fondement de l'article 6§1 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales. Un précédent arrêt avait déjà fait un pas en ce sens et sur le même fondement (Cass. soc. 16 mars 2016, n° 14-23589).
Sur le plan pratique, avant que le bureau de jugement du CPH se prononce sur le fond, l'employeur doit conserver le salarié à son service au-delà du terme initialement prévu. À notre avis, il doit lui fournir du travail et le rémunérer.