La présomption de justification fait tache d’huile
Retour sur les termes des avantages conventionnels des cadres, avec un litige opposant quelque 700 salariés à une caisse du Crédit agricole. Cette fois, l'avantage en question, une indemnité de logement, n'est octroyé qu'aux cadres exerçant certaines fonctions. La Cour de cassation reste néanmoins sur sa ligne.
La convention collective nationale (CCN) du Crédit agricole prévoit le versement non conditionnel d'une indemnité de logement aux cadres occupant la fonction de chefs d'agence. Les cadres de direction y ont droit également, en vertu d'un accord collectif annexe.
737 salariés et cadres exclus de la prime engagent une action devant les prud'hommes afin d'obtenir des dommages et intérêts pour violation du principe d'égalité de traitement.
Dupliquant une solution datant de janvier 2015, la Cour de cassation les déboute. Dès lors qu'ils sont issus d'un accord collectif, les avantages catégoriels, qui opèrent une inégalité de traitement entre salariés, sont présumés justifiés. Les avantages versés non pas à une catégorie (les cadres) mais à une sous-catégorie (parmi eux, les chefs d'agence et les cadres dirigeants) le sont également (Cass. soc. 8 juin 2016, n° 15-11324).
Renversement de la charge de la preuve
Jusqu'en 2015, un avantage destiné aux seuls cadres (prime d'ancienneté, jour de congé supplémentaire, indemnité de licenciement plus importante etc.), qu'il provienne d'un accord ou d'une décision unilatérale de l'employeur, devait reposer sur des raisons objectives, dont il appartenait au juge de contrôler la réalité et la pertinence.
Début 2015, la Cour de cassation a opéré un revirement de jurisprudence en instaurant une présomption de justification des avantages catégoriels issus des accords collectifs, faisant porter au salarié dénonçant une inégalité de traitement la charge de prouver que l'avantage est étranger à toute considération de nature professionnelle (Cass. soc. 27 janv. 2015, n° 13-14773).
Dans l'arrêt Crédit agricole du 8 juin dernier, la Cour de cassation applique cette présomption aux avantages bénéficiant « aux salariés exerçant, au sein d’une même catégorie professionnelle, des fonctions distinctes ».
Une même justification
La Cour de cassation fonde sa décision sur le fait que les accords collectifs sont signés par les organisations syndicales représentatives investies de la défense des droits et intérêts des salariés et à l'habilitation desquelles ces derniers participent directement par leur vote.
Dans son commentaire, elle affirme que « le fondement de cette présomption est que les négociateurs sociaux agissent par délégation de la loi et qu'ils doivent, en conséquence, disposer, dans la mise en œuvre du principe d'égalité de traitement, d'une marge d'appréciation comparable à celle que le Conseil constitutionnel reconnaît au législateur dans le contrôle qu'il exerce sur le respect par celui-ci du principe constitutionnel d'égalité ».
En l'espèce, en dépit d'un nombre impressionnant d'arguments développés dans le pourvoi, elle s'est satisfaite du constat, par la cour d’appel, que l’indemnité de logement avait pour objectif de prendre en compte les spécificités de la fonction de chef d’agence et de cadre de direction, preuve qu’elle n’était pas étrangère à des considérations professionnelles.
Quelques commentaires
• Cette formulation laisse perplexe dans la mesure où il semble difficile de prouver qu'il n'existe aucune considération professionnelle ayant donné lieu à l'institution d'un avantage. Le fond du problème est de savoir à quelle réalité un avantage catégoriel correspond, et en quoi il est pertinent.
• Si le vote est l'élément qui légitime les organisations syndicales à participer à la création de règles hors contrôle du juge, cette jurisprudence ne devrait alors s'appliquer qu'aux accords collectifs signés après les élections professionnelles. Quid des accords déjà anciens signés alors que les organisations syndicales n'étaient pas en place ?
• Le lien de représentation existant entre les négociateurs syndicaux et les salariés doit être serré. Certes, c'est le vote de ces derniers qui leur donne légitimité à négocier. Mais le vote ne fait pas tout, et une véritable représentation des intérêts des salariés nécessite des échanges constants entre ces derniers et les syndicats négociateurs pendant la négociation.
Malgré cela, est-ce que cela devrait empêcher toute critique ou même désaveu des salariés vis-à-vis du contenu des accords collectifs en résultant ?
• La Cour de cassation fait le choix, à l'instar du législateur, de promouvoir les accords collectifs, et la portée très générale de sa formulation laisse transparaître sa volonté d'instaurer une présomption de légalité pour toute disposition conventionnelle. Les employeurs ne seraient-ils pas, de ce fait, incités à mettre en œuvre leurs décisions de gestion via l'accord collectif, afin de ne plus avoir à justifier certaines règles ?
En savoir
Revue pratique de droit social
M. Carles. Numéro 839 de mars 2015, page 97.
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