Délais difficiles à respecter pour les conseillers prud’hommes
Les modalités d'indemnisation des conseillers prud'hommes sont modifiées par deux décrets du 13 mars 2014. Outre des simplifications à la marge, ces décrets tendent pour l'essentiel à restreindre le temps d'activité indemnisable des juges. Le point sur ces changements.
Les employeurs ont l'obligation de laisser aux salariés titulaires d'un mandat de conseiller prud'homme le « temps nécessaire » pour exercer leurs fonctions, sans baisse de rémunération (Le salarié voit sa rémunération maintenue par son employeur. Donc le temps passé par le salarié au conseil des prud'hommes pendant son temps de travail n'a aucune incidence sur le montant de son salaire. L'employeur est remboursé par l'État des salaires maintenus ainsi que des avantages et des charges sociales leur incombant. Il peut demander au salarié de justifier ses absences. Si le salarié passe du temps au conseil des prud'hommes en dehors de ses horaires de travail, une allocation de 7,10 € par heure lui est versée. Pour beaucoup, utiliser le terme « indemnisation » s'agissant des conseillers prud'hommes salariés est un abus de langage.
Par contre, les conseillers du collège employeurs perçoivent des vacations pour les heures consacrées aux fonctions prud'homales même pendant leur temps de travail. Ces vacations horaires sont fixées au double du montant alloué aux conseillers prud'hommes salariés (environ 15 € par heure). Et hors du temps de travail – avant 8 heures et après 18 heures – le montant de la vacation est identique à celui du salarié). L'objectif étant de permettre aux salariés élus d'accomplir leurs missions pendant les heures de travail. Mais voilà, ce « temps nécessaire » accordé aux conseillers prud'hommes salariés est remis en cause par les réformes successives comme en attestent à nouveau deux décrets en date du 13 mars 2014 applicables à compter du 16 (Décrets n° 2014-331 et n° 2014-332 du 13 mars 2014). Les décrets en question permettent quelques améliorations, ou plutôt simplifications, facilitant les demandes que peuvent formuler les conseillers prud'hommes pour être indemnisés de leurs activités prud'homales.
Ces quelques avancées ne doivent pas faire oublier divers points contestables. Par exemple, les conseillers prud'hommes sont les seuls juges de l'ordre judiciaire à être contraints de réclamer du temps pour exercer correctement leurs missions. Le plafonnement des temps alloués reste donc d'actualité forte, ce qui est contraire à l'indépendance des magistrats reconnue par la Constitution, et à la bonne marche d'un service public.
Légère modification des activités prud'homales indemnisables
Ces activités prud'homales indemnisables sont listées à l'article R. 1423-55 du Code du travail. Le décret n° 331 vient modifier cette disposition dans un sens favorable aux conseillers prud'hommes. Explications.
Avant le décret : le conseiller prud'homme pouvait être indemnisé pour participer aux réunions préparant les assemblées générales du conseil, aux assemblées de sections ou de chambre et à la formation restreinte uniquement si ces dernières étaient prévues au règlement intérieur du conseil.
Ce n'est plus le cas maintenant. Le conseiller prud'homme peut participer à ces réunions qu'elles soient ou non prévues au règlement intérieur. Cette mesure doit être approuvée, car parfois le règlement intérieur de certains conseils peut s'avérer imprécis au point de passer sous silence l'indemnisation des réunions préparatoires. Et en pratique, la procédure visant à rectifier le règlement intérieur pour le rendre conforme est assez lourde.
Demandes d'indemnisation :
des procédures simplifiées
* Concernant l'indemnisation des heures passées à étudier un dossier après l'audience et avant le délibéré : lorsque le conseiller prud'homme devait passer du temps à étudier un dossier avant le délibéré en raison de sa complexité ou la multiplicité des chefs de demande, il était soumis à une autorisation préalable de la formation de référé ou du bureau de jugement. Il s'agissait donc d'une décision paritaire exposée aux risques de blocage.
Dorénavant, l'étude du dossier peut se faire sans autorisation préalable. Nul besoin également de demander l'autorisation au président du bureau, ce dernier, selon le décret, étant seulement en charge de désigner deux conseillers, l'un employeur l'autre salarié, à qui il confie le dossier à l'étude. Pour une bonne pratique, il est tout à fait concevable qu'un conseiller prud'homme (employeur ou salarié) puisse demander directement au président du bureau d'étudier le dossier. Ce dernier pourra alors proposer à un conseiller de l'autre collège cette étude. Petite remarque : la mesure présente ses limites car, s'agissant de la formation de référé, le nombre de conseillers prud'hommes est de deux personnes – un salarié, un employeur –, ce qui limite les possibilités de désignation.
* Concernant l'indemnisation du temps passé à rédiger une décision : l'article D. 1423-66 du Code du travail concerne le nombre d'heures indemnisables que peut déclarer le conseiller prud'homme pour la rédaction d'un procès-verbal de conciliation, d'un jugement, d'une ordonnance de référé. Ces délais sont maintenus par les nouveaux décrets, mais sont modifiés quant aux conditions de dépassement de ces heures. Voir le tableau 1.
Jusqu'à présent, lorsqu'un conseiller (Généralement le président d'audience rédige les décisions ; mais rien n'interdit qu'un autre conseiller prud'homme en soit chargé) consacrait à la rédaction d'un jugement ou d'une ordonnance de référé un temps supérieur à ces durées, il en référait au président du bureau de jugement ou de la formation de référé qui saisissait, sans délai, par requête motivée, le président du conseil de prud'hommes. Ce dernier décidait de la durée de la rédaction dans les huit jours suivant sa saisine. Le mécanisme ainsi mis en place semblait effectivement un peu lourd.
Dorénavant, le conseiller qui souhaite un temps supérieur pour rédiger un procès-verbal de conciliation, un jugement ou une ordonnance de référé peut saisir lui-même sans délai le président du conseil des prud'hommes.
Le décret simplifie donc cette procédure. Pour autant, il ne résout pas le problème d'insécurité que vivent parfois les conseillers prud'hommes qui peuvent ne pas voir leur temps pris en charge totalement si la durée retenue par le président du conseil des prud'hommes reste inférieure à celle effectuée.
Insuffisance des temps prévus pour étudier un dossier après l'audience
L'article D. 1423-65 du Code du travail concerne le nombre d'heures indemnisables qu'un conseiller prud'hommes peut déclarer avoir consacré aux études de dossiers. Rien ne change s'agissant du nombre d'heures indemnisables accordées préalablement à l'audience. Mais ce temps diminue scandaleusement s'agissant d'étudier le dossier avant le délibéré (voir tableau). On assiste là à un véritable retour en arrière. Un décret du 16 juin 2008 avait à l'époque imposé des limitations drastiques aux temps d'activité des conseillers prud'hommes. La CGT avait formé un recours en annulation de certaines de ces dispositions devant le Conseil d'État et obtenu gain de cause (Conseil État n° 319785 du 17 mars 2010). La CGT n'exclut pas à nouveau un tel recours face aux restrictions indécentes auxquelles sont soumises les activités des juges prud'homaux aujourd'hui : 45 minutes pour étudier un dossier après une audience du bureau de jugement et 15 minutes suite à une audience devant la formation de référé ! Voir le tableau 2.
Selon Jamila Mansour, présidente du conseil des prud'hommes de Bobigny, « c'est ubuesque ! Ces délais sont impossibles à tenir, car un quart d'heure pour étudier un dossier de la formation de référé après l'audience et avant le délibéré, c'est juste le temps qu'il faut pour ouvrir le dossier, lire son contenu, et le temps est déjà écoulé. La situation est d'autant plus aberrante que les premiers à utiliser ce droit sont les conseillers prud'hommes en début de mandat, ceux-là même pour lesquels un temps nécessaire pour la réflexion et l'étude du dossier est précieux ».
S'agissant du dépassement des heures indemnisables prévues au tableau 2 avant l'audience, le décret offre la possibilité d'obtenir un dépassement de ces heures en fonction du nombre de dossiers inscrits au rôle sur autorisation expresse du président du conseil de prud'hommes, ce dernier devant déterminer le nombre d'heures indemnisables. Il y a un risque que le nombre d'heures accordées dépende de la personne en place à cette fonction selon qu'elle appartient au collège employeur ou salarié. N'aurait-il pas été plus opportun que la décision soit à la fois prise par le président et le vice-président du conseil des prud'hommes ?
Les heures passées à la rédaction des décisions connexes
Selon l'article D. 1423-67 du Code du travail, des règles particulières régissent le nombre d'heures indemnisables qu'un conseiller prud'homme consacre à la rédaction de décisions qui présentent entre elles un lien caractérisé, notamment du fait de l'identité d'une partie, de l'objet ou de la cause.
Un temps supplémentaire, variant selon le nombre de décisions, s'ajoute au nombre d'heures indemnisables pour la décision initiale (art. D. 1423-66 du Code du travail), dans les limites suivantes (voir le tableau 3). La modification opérée par le décret ne fait que corriger les erreurs rédactionnelles commises dans l'ancien tableau. Ainsi, rien ne change pour le conseiller prud'homme.
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