Condamnation de l’État pour délais excessifs devant les prud’hommes
« On ne doit pas laisser la justice dans un tel état ! Il faut impérativement une réaction ! » dénonce Dany Marignale, avocat de plus de mille victimes des délais excessivement longs devant le conseil des prud'hommes.
6,7 millions d'euros d'indemnités pour les victimes des délais excessifs de la justice !
Le 14 décembre dernier, le tribunal judiciaire de Paris a condamné l'État à verser 6,7 millions d'euros à 1 051 justiciables victimes de délais jugés excessivement longs pour faire valoir leurs droits devant les prud’hommes. Chacune devrait toucher entre 2 500 et 11 000 € d'indemnités sous réserve du résultat du jugement d'appel fait par l'État.
Cette décision, à l'occasion de laquelle le juge a caractérisé un déni de justice, illustre la défectuosité du système judiciaire français actuel.
En effet, alors qu'en cas d'égalité des voix entre conseillers prud'homaux salariés et employeurs, la loi prévoit un maximum d'un mois pour que l'affaire soit renvoyée devant un juge professionnel, ce délai est d'en moyenne 2 ans au conseil de Paris. Certains clients ont même attendu jusqu'à 10 ans avant le rendu de leur décision !
À noterQuand l'article 6 de la Convention Européenne des Droits de l'Homme garantit à toute personne « le droit d'être jugée équitablement, publiquement et dans un délai raisonnable, par un juge indépendant et impartial », le déni de justice désigne une situation dans laquelle une personne est privée de son droit à une justice équitable en raison de retards, de négligence ou de refus injustifiés de la part des autorités judiciaires. C'est une faute très grave que le juge a qualifiée d'« atteinte à un droit fondamental ».
Une souffrance sociale profonde pour les salariés, consécutive d'un accès à la justice entravé
Ces retards s'expliquent de différentes façons : attente de décisions d'autres juridictions qui peinent à arriver, manque d'effectifs, mauvaise communication des pièces entre les parties etc.
Mais le résultat reste le même : une souffrance sociale profonde causée par la précarisation des salariés et par une amplification du rapport de force déjà déséquilibré avec leur employeur.
En effet, alors que l'attente d'une indemnisation plonge les salariés licenciés — parfois sans revenus depuis plusieurs années — dans de graves difficultés financières (allant parfois jusqu'à causer des divorces, des dépressions, etc., excédant alors l'aspect financier), ces délais excessivement longs sont désormais également devenus une arme de négociation des employeurs pour dissuader leurs salariés d'engager une action en justice.
Entre patienter des années avant une potentielle indemnisation de leur préjudice et percevoir de leur employeur — en lieu et place d'un procès — une somme bien inférieure à celle qu'ils auraient obtenu en cas d'une victoire au tribunal, bon nombre de salariés ne pouvant financièrement pas attendre se retrouvent contraints d'accepter la somme de l'employeur, renonçant ainsi à faire valoir leurs droits en justice.
Une réponse insuffisante voire contreproductive de l'État
Bien qu'il affiche une volonté de réduire ces délais excessifs, l'État n'a en réalité, ces dernières années, que contribué à accroître la précarité de la partie faible au contrat de travail, le salarié.
Au lieu de donner à la justice des moyens humains et financiers supplémentaires, l'État se borne à vouloir réduire le nombre d'actions en justice, ne faisant que décourager voire empêcher les salariés d'agir.
Ces derniers — déjà fragilisés par les multiples réformes entrées en vigueur depuis le premier quinquennat d'Emmanuel Macron (dont l'instauration du barème Macron plafonnant leurs indemnités en cas de licenciement) — se retrouvent maintenant menacés par une énième réforme régressive annoncée par Bruno Le Maire en décembre 2023 : la réduction du délai de contestation d'un licenciement d'un an à deux mois.
Espérons que cette décision du tribunal soit le début d'une prise de conscience pour l'État concernant la nécessité urgente d'actions de sa part.