Première victoire pour le devoir de vigilance des multinationales : La Poste condamnée
Le devoir de vigilance est destiné à prévenir les atteintes graves envers les droits humains, les libertés fondamentales, la santé et la sécurité des personnes, ainsi qu'à l’environnement. Il figure aux articles L. 225-102-4 et L. 225-102-5 du Code de commerce qui sont coercitifs. C'est-à-dire que les sociétés ne respectant pas ces dispositions peuvent voir leur responsabilité engagée.
Pourtant, alors même que, depuis 2019, une douzaine d'entreprises ont fait l'objet d'actions en justice pour non-respect du devoir de vigilance (dont Total), aucune n'avait encore, jusqu'au 5 décembre dernier, été condamnée. La décision récente du tribunal judiciaire de Paris envers La Poste marquerait-elle le début d'une nouvelle ère ? (TJ Paris 5 décembre 2023, n°21/15827).
Qu'est-ce que le devoir de vigilance ?
Quelques années après l’effondrement du tristement célèbre Rana Plaza à Dacca, au Bangladesh, responsable de la mort de 1 138 ouvriers du fait de conditions de travail déplorables dans les multinationales, la France, pionnière en la matière, a voté une loi relative au devoir de vigilance des sociétés mères et des entreprises donneuses d'ordres.
Ce texte, entré en vigueur le 27 mars 2017 et codifié aux articles du Code de commerce précités, impose un certain nombre d'obligations aux groupes et entreprises qui emploient, pendant deux années consécutives, plus de 5 000 salariés en France ou plus de 10 000 salariés en France et à l'étranger.
Depuis, tout groupe soumis au devoir de vigilance doit :
- établir une cartographie précise des risques susceptibles d'être causés par son activité ;
- mettre en place des procédures d'évaluation régulières de la situation des filiales, sous-traitants et fournisseurs avec lesquels il entretient une relation commerciale établie ;
- prévoir des actions de prévention des atteintes graves ainsi que des mécanismes d'alerte ;
- créer un dispositif de suivi de ces mesures pour évaluer leur efficacité.
Toutes ces dispositions visent à identifier et prévenir les impacts négatifs sur les droits humains et l'environnement de l'ensemble des activités de la chaîne de valeur des entreprises concernées.
La Poste condamnée à revoir son plan de vigilance
Le contrôle dans l'application du devoir de vigilance demeurait jusqu'alors insuffisant, les entreprises se soustrayant encore abondamment à leurs responsabilités sous l'œil complice des gouvernements. Mais un jugement sur le fond relatif à la mise en œuvre du texte a, pour la première fois, été rendu le 5 décembre dernier : le tribunal judiciaire a reconnu la culpabilité du groupe La Poste pour non-respect de son devoir de vigilance.
Pour comprendre cette affaire, il faut remonter à juillet 2020, lorsque le syndicat SUD PTT, considérant que le plan de vigilance du groupe ne répondait pas aux exigences légales, l'a mis en demeure de s'y conformer. Après plusieurs échanges et nouvelles mises en demeure, le syndicat, estimant que La Poste ne se conformait toujours pas à ses obligations liées au devoir de vigilance, a assigné le groupe devant le tribunal judiciaire de Paris en décembre 2021, demandant à la juridiction de l'enjoindre sous astreinte à compléter son plan de vigilance.
S'il a rejeté certaines demandes du syndicat (fourniture de la liste des sous-traitants et fournisseurs ou mesures de sauvegarde se rapportant à la prévention des risques psychosociaux), le tribunal a néanmoins condamné La Poste à compléter le plan de vigilance qu'elle avait établi.
La juridiction a premièrement enjoint le groupe d'établir une cartographie plus précise des risques identifiés. Cette cartographie, que le tribunal considère comme revêtant « un caractère fondamental dans la mesure où ses résultats conditionnent les étapes ultérieures et donc l'effectivité de l'ensemble du plan », devra être précise, analytique et hiérarchiser les risques par ordre de gravité.
Le groupe devra en outre établir des procédures d'évaluation des sous-traitants en fonction des risques identifiés et prévoir un mécanisme d'alerte et de recueil des signalements élaboré en concertation avec les organisations syndicales représentatives. Enfin, La Poste devra publier un réel dispositif de suivi de ses mesures de vigilance.
Le syndicat demandeur affirme qu'il s'agit là d'une « victoire majeure ». En effet, si cette décision (susceptible d'appel) est confirmée, les grandes entreprises pourraient, face au risque judiciaire, être amenées à modifier leurs pratiques. En outre, l'adoption prochaine d'une directive européenne sur le devoir de vigilance – perspective d'un durcissement et d'une amélioration de la réglementation – est source d'espoir pour rendre, enfin, les multinationales responsables de leurs exactions.