Loi Justice : de nouvelles contraintes pour les conseillers prud’hommes
La loi Justice du 20 novembre 2023 fait peser sur les conseillers prud'hommes de nouvelles restrictions dans l'exercice de leur mandat auxquelles s'ajoute le dépôt d'une déclaration d'intérêts. Cette loi fait malheureusement fi des alertes pourtant régulières que font remonter auprès des autorités les conseillers prud'hommes en exercice sur leurs véritables besoins, tant sur les moyens que sur les difficultés organisationnelles de cette juridiction.
Rédaction obligatoire d'une déclaration d'intérêts
À partir de la prochaine mandature et dans un délai de six mois à compter de leur installation, les conseillers prud'hommes doivent remettre une déclaration exhaustive exacte et sincère de leurs intérêts. Le conseiller prud'homme doit y mentionner les liens et les intérêts de nature à influencer l'exercice indépendant, impartial et objectif des fonctions qu'il a ou a eu au cours des cinq années précédant sa prise de fonction.
En pratique, cette déclaration doit être remise au président ou vice-président du conseil de prud'hommes ou au premier président de la cour d'appel pour les présidents de conseil. Elle est en outre suivie d'un entretien déontologique entre le conseiller et l'autorité à laquelle la déclaration a été remise.
Il s'agit d'une véritable obligation à la charge du conseiller prud'homme qui, s'il ne remet pas tout ou partie de cette déclaration au président ou au vice-président du conseil, s'expose à une condamnation de 45 000 euros d'amende et à trois ans d'emprisonnement. Des sanctions pouvant s'accompagner de l'interdiction des droits civiques et d'exercer une fonction publique (art. L. 1421-3 C. trav.).
Le contenu de cette déclaration d'intérêts reste très vague et pointe surtout du doigt les liens du conseiller prud'homme avec son organisation syndicale. Ainsi, outre le fait qu'elle alimente les suspicions, déjà existantes, de partialité des conseillers prud'hommes, la loi reste silencieuse tant sur le temps alloué aux conseillers prud'hommes pour remplir cette nouvelle formalité, que sur celui qu'il serait nécessaire d'attribuer au président ou au vice-président des conseils pour réaliser les entretiens déontologiques. Comme l'a souligné à juste titre M. Carrère, vice-président du conseil de prud'hommes de Paris dans son discours de rentrée, lors de l'audience solennelle du 25 janvier 2024, la « déclaration d'intérêts et [l'] entretien déontologique… à n'en pas douter, vont donner une charge de travail importante au président de notre juridiction qui compte, je vous le rappelle, 832 conseillers prud'hommes ».
Limiter le nombre de mandats et l'âge des mandatés
Deux restrictions sont par ailleurs apportées à l'exercice du mandat de conseiller prud'homme. La première vise à limiter à cinq le nombre de mandats pouvant être réalisés dans un même conseil de prud'hommes (art. L. 1441-9 C. trav.). La seconde est une restriction par l'âge, le mandat expirant de plein droit à la fin de l'année civile au cours de laquelle les conseillers prud'hommes ont atteint 75 ans (art. L. 1442-3 C. trav.).
Ces restrictions, qui s'appliqueront également à compter de la prochaine mandature, vont impacter de nombreux conseillers prud'hommes. Dans certains conseils, beaucoup de conseillers du collège employeur seront concernés, même si, évidemment, ces mesures s'appliquent aussi au collège salarié. En effet, suite à leur activité professionnelle, des employeurs s'engagent dans ce mandat ressenti comme un moyen de poursuivre une activité au sein de laquelle ils sont en partie décisionnaires.
Par ailleurs, les conseillers prud'hommes ayant une prise de mandat très tôt dans leur carrière vont voir ce dernier arriver à échéance au bout de cinq mandats. La loi ne propose aucune alternative à ces conseillers dont l'expérience et les compétences acquises ne seront plus utilisées. Aucune perspective n'a été imaginée pour leur offrir la possibilité de se tourner, par exemple, vers la magistrature ou l'avocature. Un véritable gâchis !
Notons par exemple, comme le rappelle M. Sauvage, président du conseil de prud'hommes de Paris, également à l'occasion de l'audience solennelle de rentrée du 25 janvier 2024, que le conseil de prud'hommes de Paris va devoir pallier prochainement un déficit d'une cinquantaine de conseillers employeurs, dont le remplacement n'est à ce jour pas assuré. Les recrutements des conseillers du collège employeur s'avérant difficiles, il est à craindre que la juridiction s'en trouve paralysée.
Point sur « la démission » des conseillers prud'hommes
En principe, tout conseiller prud'homme doit suivre la formation initiale dispensée par l'École nationale de la magistrature (ENM). Le conseiller qui n'effectue pas sa formation dans un délai de quinze mois, à compter du premier jour du deuxième mois suivant sa nomination, est réputé démissionnaire de son mandat (art. D.1442-10-1 C. trav.). Il ne peut alors plus être candidat pendant un délai de quatre ans à compter de la décision le déclarant démissionnaire (art. L. 1441-10 C. trav.). Il pouvait faire une demande de relèvement au ministre de la Justice après un délai d'un an (art. L. 1442-18 C. trav.). Une possibilité lui est désormais offerte d'être relevé, d'office ou à sa demande, de cette incapacité d'éligibilité (art. L. 1442-17 C. trav.).
Le hic est cependant que le conseiller prud'homme n'a pas la possibilité de récupérer automatiquement son mandat. Il doit attendre les prochaines désignations pour se porter à nouveau candidat. De plus, aucune mesure ne vient assouplir les règles sur la formation. Actuellement, les conseillers désignés en 2022 n'ont pas tous réalisé l'intégralité de la formation obligatoire, et certains ont les plus grandes inquiétudes sur l'organisation au ralenti des formations à l'ENM.
Par ailleurs, ces contraintes liées à la formation créent des discriminations dont la CGT a pu faire les frais. En 2018, deux conseillères prud'hommes CGT ont été démises d'office de leurs fonctions faute d'avoir pu effectuer leur formation, l'une pour des raisons médicales suite à un accident du travail, l'autre à cause de son congé maternité et parental. Le Conseil d'État a jugé, en application stricte des textes en vigueur (art. L. 1441-10 C. trav.), que les conseillères devaient être considérées comme démissionnaires.
A minima, la loi Justice aurait pu considérer que des situations particulières indépendantes du conseiller prud'homme constituaient des causes légitimes de suspension du mandat.
En attendant de futures et réelles améliorations… quid des justiciables ? Ils sont toujours confrontés à une procédure plus longue dans un contexte où les indemnités pour licenciement injustifié sont depuis la mise en place du « barème Macron » revues à la baisse.
Voir aussi : Estelle Suire, « Loi Justice – De nouvelles contraintes pour les conseillers prud'hommes », RPDS 2024, n°946, p.31.