Mise en œuvre d’orientations stratégiques : consultation ponctuelle obligatoire
Par Sarah Martin d’Escrienne
Le Code du travail prévoit que, sur certaines questions, le comité social et économique (CSE) doit être consulté de manière récurrente, c'est-à-dire périodique. L'employeur doit notamment, à défaut d'accord, consulter le CSE une fois par an sur l'orientation stratégique de l'entreprise (art. L.2312-24 du Code du travail). En revanche, sur d'autres questions, notamment chaque fois que l'organisation, la gestion ou la marche générale de l'entreprise sont concernées, le CSE doit être consulté de manière ponctuelle (art. L.2312-8 du Code du travail). Cette distinction entre consultation récurrente et consultation ponctuelle est importante : selon le type de décision, l'obligation de consultation applicable diffère et avec elle les possibilités de recours du CSE.
En outre, tout manquement de l'employeur à ses obligations d'information/consultation caractérise un délit d'entrave au fonctionnement du comité social et économique. Dans l'urgence, le CSE peut alors agir en référé via la procédure prévue aux articles 834 et 835 du Code de procédure civile. Il importe donc de pouvoir identifier les sujets intéressant l'organisation de l'entreprise, sur lesquels il doit être ponctuellement consulté. Une ordonnance de référé rendue par le tribunal judiciaire d'Argentan le 16 mars 2023 éclaire des éléments qui distinguent les orientations stratégiques de leur mise en œuvre. Le juge précise la définition d'une réorganisation de la production, laquelle nécessite une consultation ponctuelle du CSE. (TJ d'Argentan, 16 mars 2023, n°RG23/00004)
Au-delà des orientations stratégiques, des réorganisations de la production
Dans cette affaire le CSE de Marelli Argentan, filiale française d'une société fabricant des composants automobiles, constate plusieurs changements dans l'organisation de l'entreprise, sans avoir été consulté au préalable. Il craint alors une délocalisation de la production de son site. Le comité demande donc la mise en œuvre d'une procédure d'information/consultation sur les décisions intéressant la marche générale de l'entreprise, sur le fondement de l'article L.2312-8 du Code du travail. L'employeur refuse. Les salariés se mettent en grève et assignent leur employeur en référé devant le tribunal judiciaire pour entrave au fonctionnement du CSE. Pour l'employeur, il n'y a pas lieu à référer : il n'est pas tenu de consulter le CSE car les décisions concernées seraient des orientations stratégiques globales sans incidence directe sur le site d'Argentan. Le tribunal rejette la version patronale et note que l'employeur s'est même doublement rendu coupable d'un délit d'entrave.
Changements opérationnels : consultation ponctuelle
En effet, parmi les changements qu'a connus l'entreprise il y en a deux majeurs : le passage d'un site unique à une production multi-sites et le recours à un sous-traitant pour une production jusqu'alors réalisée en interne. Certes, dans leurs principes ces mesures sont des orientations stratégiques liées à une réflexion globale de l'activité. Elles n'affectent, en outre, pas les volumes de la production. Pour autant, elles ont donné lieu à des modifications, notamment logistiques, dans l'organisation du site d'Argentan. De plus, le contrat d'externalisation était déjà élaboré de manière précise entre l'employeur et le sous-traitant. Ces mesures ont donc une dimension opérationnelle relevant de la marche générale l'entreprise et doivent ainsi être comprises comme des réorganisations de la production. Par conséquent, elles auraient dû faire l'objet d'une consultation ponctuelle du CSE. Si, pour les orientations stratégiques en elle-même, il n'existe pas d'obligation de consultation ponctuelle, l'employeur doit obligatoirement consulter le CSE de manière ponctuelle lorsque ces orientations stratégiques se traduisent par des réorganisations concrètes de la production.