Droit de grève des fonctionnaires : la règle du trentième indivisible censurée
En cas de grève, les agents de la fonction publique d'État et des établissements publics administratifs se voient appliquer la règle du trentième indivisible pour calculer la retenue sur leur rémunération (art. L.711-3 CGFP).
En conséquence, un agent public de l'État qui fait grève, même seulement une heure, se voit retirer un trentième de sa rémunération, soit une journée entière.
Suite à une réclamation portée par la CGT en 2017, le CEDS donne largement raison au syndicat et reconnait dans une décision du 14 février 2023 la violation par la France du droit de grève tel que garanti par la Charte sociale européenne. Cette décision constitue un apport majeur pour les syndicats pour défendre le droit de grève en pleine mobilisation contre la réforme des retraites.
La règle de retenue de salaire du trentième indivisible : une violation du droit de grève…
La Charte sociale européenne reconnait le droit des travailleurs à des actions collectives telles que le droit de grève (art. 6.4). Le CEDS rappelle que ce droit ne peut être limité que par une restriction prévue par la loi, poursuivant un but légitime et nécessaire dans une société démocratique.
Le gouvernement français estimait que la règle du trentième indivisible était une règle comptable neutre. Cependant, le Comité souligne que le Code général de la fonction publique prévoit que cette règle ne s'applique qu'aux absences des grévistes. Le fait générateur de la retenue est donc bien la grève et non le fait de ne pas exécuter son service.
De plus, le CEDS affirme, conforment à sa position historique et à celle de l'Organisation internationale du travail (Conférence Internationale du travail – 91e session – Rapport III – 2003), que les retenues opérées sur le salaire des grévistes doivent être proportionnelles à la durée effective de la grève.
Or, le droit français de la fonction publique prévoit la retenue du salaire au trentième sans considération du temps de grève réel. Le CEDS en conclut que cette règle entraine une retenue disproportionnée sur le salaire des grévistes et revêt un caractère punitif.
… Et une discrimination
La règle du trentième ne concerne que les agents de la fonction publique d'État et des établissements publics administratifs (EPA). Ne sont donc pas concernés tous les autres agents de la fonction publique (fonction publique hospitalière, territoriale, établissements publics à caractère industriel et commercial et établissements publics ou privés exerçant une mission de service public).
Le CEDS note qu'aucun élément ne justifie la nécessité d'une telle différence entre les agents publics dans le décompte de la durée de la grève sur le salaire.
Le CEDS met donc en lumière une inégalité de traitement entre les agents publics français quant à l'application de la règle de retenue de salaire en cas de grève.
Enfin un changement pour les fonctionnaires.
Les décisions du CEDS sont des recommandations. Même si elles n'ont pas d'effet juridique automatique au sein des États, ces derniers doivent néanmoins les prendre en compte afin de respecter leur engagement envers la Charte sociale européenne qu'ils ont signé.
Les agents publics et leurs organisations syndicales pourront, dès qu'une retenue sur salaire selon la règle du trentième est effectuée alors que la durée de la grève était inférieure à une journée, saisir le tribunal administratif sur la base de la décision du CEDS pour faire reconnaitre au juge français la violation de la Charte sociale européenne. Le législateur français serait également bien inspiré de modifier la loi pour tenir compte de cette décision.
Cette décision arrive à point nommé au regard de la mobilisation actuelle contre la réforme des retraites. Pour préserver nos « conquis sociaux », de nombreux agents publics sont et vont être amenés à se mettre en grève. La décision du CEDS ne pourra qu'améliorer la situation de ces agents et même inciter les travailleurs à rejoindre le mouvement.