Réorganisation : les orientations stratégiques attendront
La Cour de cassation juge qu'il n'y a pas lieu de suspendre une consultation sur une restructuration dans l'attente de celle sur les orientations stratégiques. Elle estime que les deux consultations sont autonomes, ce qui est critiquable.
Selon les articles L. 2312-8 et L. 2312-37 du Code du travail, le comité social et économique (CSE) est consulté sur les questions intéressant l’organisation, la gestion et la marche générale de l’entreprise, notamment sur la modification de son organisation économique ou juridique ou en cas de restructuration et compression des effectifs.
Par ailleurs, l’article L. 2312-24 du même code prévoit que le CSE est consulté sur les orientations stratégiques de l’entreprise et sur leurs conséquences sur l’activité, l'emploi, l’évolution des métiers et des compétences, l’organisation du travail, le recours à la sous-traitance, à l’intérim, à des contrats temporaires et à des stages. Cette consultation porte, en outre, sur la gestion prévisionnelle des emplois et des compétences, sur les orientations de la formation professionnelle et sur le plan de développement des compétences. Le comité émet un avis sur les orientations stratégiques de l’entreprise et peut proposer des orientations alternatives. Cet avis est transmis à l’organe chargé de l’administration ou de la surveillance de l’entreprise, qui formule une réponse argumentée. Le comité en reçoit communication et peut y répondre.
La consultation sur les orientations stratégiques est-elle un préalable à une consultation sur une réorganisation ?
Lorsqu'un employeur soumet un projet ponctuel à l'information-consultation du CSE, comme une restructuration ou une réorganisation par exemple, doit-il au préalable l'avoir intégré ou évoqué lors de la consultation récurrente sur les orientations stratégiques, et s'il ne l'a pas fait, doit-il attendre que celle-ci ait eu lieu, dès lors que ce projet impacte la stratégie à court ou moyen terme de l'entreprise ? Telle était la question posée dans une récente affaire à la Cour de cassation.
En l'espèce, l’organisme de gestion de l’établissement catholique de Vaujours (OGEC) avait informé, le 18 mars 2020, le CSE du projet de procéder, à la rentrée du mois de septembre 2020, à la fermeture d'un lycée professionnel et à la résiliation du contrat d’association correspondant avec le ministère de l’Agriculture. La réunion de consultation de ce comité sur les orientations stratégiques avait, par ailleurs, été fixée au 24 mars 2020. Les élus du CSE estimaient que le projet de fermeture étant un choix stratégique, la consultation ponctuelle ne pouvait avoir lieu tant que la consultation sur les orientations stratégiques n'avait pas été menée.
Les juges du fond leur ont donné raison en suspendant la consultation sur la résiliation du contrat avec le ministère de l’Agriculture jusqu’à la clôture de celle sur les orientations stratégiques aux motifs que ce projet était un choix stratégique. En effet, celui-ci résultait du constat d’une dégradation de la situation économique, d’une trésorerie insuffisante, obérant la capacité de l'employeur à s’endetter pour faire face à des travaux d’entretien et de rénovation nécessaires, d’une baisse de fréquentation très importante de ce lycée et de la volonté de rétablir un équilibre financier après plusieurs années de déficit. Ce choix n'était, en conséquence selon les juges, que la déclinaison concrète d’une orientation stratégique qui devait préalablement être soumise à la discussion du CSE (Appel Paris, Pôle 6, ch. 2, 29 oct. 2020, RG n° 20/04265).
Deux consultations indépendantes selon la Cour de cassation
La chambre sociale de la Cour de cassation est en désaccord avec ce raisonnement et casse l'arrêt de la cour d'appel. Elle considère que les deux consultations sont autonomes (Cass. soc. 21 sept. 2022, n° 20-23660, OGEC c/ CSE de l'OGEC). Elle fait ainsi droit aux arguments de l'employeur qui s'estimait libre de soumettre tout projet ponctuel à la consultation du CSE, dès lors que son objet lui apparaît suffisamment déterminé pour que son adoption ait une incidence sur l’organisation, la gestion et la marche de l’entreprise.
Par cet arrêt, la Cour de cassation entend mettre un terme aux divergences des juges du fond sur l'articulation entre les deux consultations. Certaines juridictions ont en effet considéré qu'il ne peut être reproché à un employeur de ne pas avoir informé le comité lors de la consultation sur les orientations stratégiques d'un projet de réorganisation d'un service soumis trois mois plus tard à l'avis du comité (Appel Paris 3 mai 2018, Pôle 6 – Ch. 2, no 17/09307, Comité central d’entreprise de la société Natixis SA).
D'autres ont jugé qu'un projet de cession soumis à la procédure d'information-consultation préalable du CSE aurait dû être précédé de la consultation sur les orientations stratégiques en raison de l’ampleur du projet de cession et du changement significatif de stratégie qu'il entraînait. Il appartenait en conséquence à l’entreprise d’organiser l’information et la consultation sur les orientations stratégiques avant toute remise valable d’un avis sur le projet de cession puisqu'il y a eu dissimulation des véritables orientations stratégiques. En ne le faisant pas, l'employeur avait commis, selon les juges, un détournement de pouvoir empêchant le comité d’exercer ses droits à recueillir des explications utiles et à faire des propositions alternatives (TGI Nanterre, Pôle civil, 11 juill. 2019, no 19102211, CSE de l’UES Mondadori Magazines France Élargie ; TGI Nanterre, réf, 28 mai 2018, no 18/01187, CE Mobipel).
Un arrêt sans nuance
En affirmant l'autonomie des deux consultations, la Cour de cassation ne fait pas preuve de beaucoup de nuance. Pour justifier sa solution, la chambre sociale indique dans une notice explicative jointe à l'arrêt qu'elle avait adopté une position semblable du temps où le comité d’entreprise devait être consulté dans les entreprises d'au moins 300 salariés sur l’évolution annuelle des emplois et des qualifications (ancien article L. 2323-56 C. trav.) en jugeant que le respect de cette consultation n'était pas un préalable à la régularité de la consultation du comité d’entreprise sur un projet de licenciement (Cass. soc. 30 sept. 2009, n° 07-20525). Mais une telle consultation n'est pas comparable selon nous à celle sur les orientations stratégiques qui doit contribuer à donner aux élus du CSE une vision claire des décisions et opérations à venir qui rendront concrète la stratégie présentée. S'il s'avère que le projet ponctuel soumis au comité constitue bien un changement de stratégie ou une inflexion importante de celle-ci, cette dernière devrait être réputée incomplète ou inexistante, et réitérée au moment où se décide précisément une telle inflexion.
Par ailleurs, au cours des opérations d’information et de consultation, il y a pu y avoir dissimulation des véritables orientations stratégiques et cela pourrait constituer un abus de droit et une fraude qui rendraient nulles les opérations ainsi menées. Cette hypothèse de dissimulation avait été envisagée par les juges dans les affaires Mondadori et Natixis évoquées ci-avant et retenue dans la première affaire. En procédant par voie d'affirmation générale, la Cour de cassation laisse dans l'ombre un point crucial. Ce n'est pas parce que les deux consultations n'ont pas le même objet qu'elles n'interagissent pas l'une envers l'autre.