Des bâtons dans les roues
Le Code du travail permet au comité social et économique (CSE) de se faire assister par un expert-comptable, qu'il s'agisse de consultations récurrentes ou de consultations sur des projets ponctuels avant leur mise en œuvre par l'employeur. Si les cas de recours à un expert sont à peu près identiques à ceux qui étaient prévus pour le comité d'entreprise, les ordonnances Macron de 2017 sont néanmoins passées par là. Les textes ont été agencés différemment et prétendent limiter les pouvoirs d'investigation de l'expert-comptable. Qui plus est, la mise en place d'une base de données économiques et sociales (BDES), informatisée dans de nombreuses entreprises, donne l'occasion au patronat de tenter d'imposer la manière dont l'expert doit consulter les données nécessaires à l'exercice de sa mission. Autant d'obstacles qui sont parfois levés par les tribunaux mais aussi parfois approuvés.
Une étendue des pouvoirs contestée mais confortée
Les articles L. 2315-89 et L. 2315-90 du Code du travail traitent de l'étendue des pouvoirs de l'expert-comptable à l'occasion de la consultation récurrente du CSE sur la situation économique et financière de l'entreprise. L'article L. 2315-90 prévoit ainsi que « l'expert-comptable a accès aux mêmes documents que le commissaire aux comptes de l'entreprise ». Il en va de même s'il intervient à l'occasion d'une consultation ponctuelle (art. L. 2315-93 C. trav.).
Mais qu'en est-il des autres consultations récurrentes que sont la consultation sur la politique sociale, l'emploi et les conditions de travail et la consultation sur les orientations stratégiques ?
Les textes ne confèrent plus à l'expert les mêmes pouvoirs d'investigation que le commissaire aux comptes de l'entreprise. Mais cela ne signifie pas que l'expert-comptable ne dispose pas de pouvoirs étendus. En effet, les comités et leurs experts peuvent invoquer le nouvel article L. 2 315-83, qui dispose que « l'employeur fournit à l'expert les informations nécessaires à l'exercice de sa mission ». Cet article est la traduction législative de la jurisprudence selon laquelle l'expert-comptable est seul juge des documents qu'il estime utiles à l'exercice de sa mission (Cass. soc. 13 mai 2014, no 12-25544). Il figure dans les dispositions générales et concerne toutes les expertises, y compris, donc, celles sur les orientations stratégiques et sur la politique sociale, l'emploi et les conditions de travail.
C'est d'ailleurs l'avis de la cour d'appel de Versailles qui, bien que les nouvelles dispositions applicables à l'expert du CSE diffèrent sensiblement de la législation antérieure, a jugé le 18 février 2021, qu'il appartient au seul expert-comptable désigné par le comité d'apprécier les documents qu'il estime utiles à l'exercice de sa mission. Ce qui signifie que les documents sollicités par l'expert peuvent, le cas échéant, excéder les informations et documents légalement requis au profit du CSE et devant figurer dans la BDES (voir aussi en ces sens : Appel Lyon, 22 oct. 2020, n° 20/01395, SAS Casino services).
Seules réserves :
- Les juges doivent examiner si les demandes formulées par l'expert présentent un caractère abusif, c'est-à-dire que les documents réclamés doivent avoir un lien avec la mission confiée à l'expert (Cass. soc. 25 mars 2020, no 18-22509) ;
- L'expert ne peut pas exiger la production de documents qui n'existent pas et dont l'établissement n'est pas obligatoire pour l'entreprise, ce qui, là encore, est conforme à la jurisprudence antérieure (Cass. soc. 27 mai 1997, n° 95-21882).
Reste dans ta « data room »
Une autre innovation patronale consiste à refuser à l'expert-comptable, dans les entreprises dotées d'une BDES numérique, le droit d'exiger des copies de documents dès lors que l'expert a la possibilité de les consulter sur place, notamment dans le cadre d'une « data room ».
Une défiance envers l'expert-comptable
Le tribunal judiciaire de Nanterre a validé, le 3 mars 2021, une telle pratique (TJ Nanterre, 3 mars 2021, n° 20/09 444).
En l'espèce, dans le cadre d'une expertise effectuée au niveau du CSE central sur les orientations stratégiques, la société avait proposé une consultation par voie sécurisée des éléments d'information détenus par la société mère, la consultation devant être faite dans les locaux du conseil de la société mère à Paris. Il était précisé que pour certains documents présentant une complexité particulière, l'expert pourrait solliciter une copie des documents sous réserve de l'accord de la société mère.
Et une surveillance généralisée de ses investigations ?
Si elle se confirmait, la généralisation d'une telle pratique constituerait un recul considérable. En effet, sous prétexte de permettre aux entreprises de veiller à ce que leurs informations confidentielles restent dans un cadre sécurisé, c'est une surveillance généralisée des investigations de l'expert qui se profile. Certains avocats, qui conseillent les entreprises, n'hésitent d'ailleurs pas à recommander que, dans la « data room », l'expert limite ses méthodes de travail à la prise de notes, manuscrites ou sur ordinateur, voire la dictée ; mais doit être en revanche exclue toute forme d'enregistrement, de capture d'écran ou encore de prise de photos. L'histoire ne dit pas si la « data room », retour au Moyen Âge oblige, doit aussi être éclairée à la bougie.
C'est aussi une défiance à l'égard des experts-comptables qui sont ainsi soupçonnés de négliger leur déontologie professionnelle en ne se protégeant pas suffisamment des pirates informatiques. Rappelons au demeurant que la confidentialité d'informations contenues dans un document ne peut être opposée à l'expert, car celui-ci est lui-même soumis au secret professionnel qui est plus exigeant qu'une obligation de confidentialité. Enfin, une telle démarche aboutit à adapter les droits des experts du CSE à l'évolution technologique alors que c'est à cette dernière de tenir compte des droits des représentants du personnel.