Le port du voile ne peut être interdit en entreprise qu’à de strictes conditions
A son retour de congé parental, la salariée d'une enseigne de prêt-à-porter se présente à son poste de vendeuse avec un foulard cachant ses cheveux, ses oreilles et son cou. Refusant de le retirer lorsqu'elle est en contact avec la clientèle, elle est dispensée d'activité pendant un mois, puis licenciée.
Elle soutient être victime d'une discrimination fondée sur ses convictions religieuses et saisit les tribunaux. Son licenciement, jugé effectivement discriminatoire, est annulé (Cass. soc. 14 avr. 2021, 19-24079).
L'interdiction du port du voile soumise à des conditions strictes
Pour expliquer l'exigence qu'il avait à l'égard de la salariée, l'employeur avait déroulé de nombreux arguments, liés tant aux attentes de la clientèle qu'à l'image et à la politique commerciale de l'enseigne : existence d'une politique de neutralité, nature de l'emploi de la salariée et ses conditions d'exercice – soutenant que « les fonctions de vendeuse s'exercent principalement sur une surface de vente spécifiquement construite autour de l'œil de la clientèle, et avec pour objectif de mettre en valeur les produits de l'entreprise » – etc.
En réponse, les juges ont rappelé les règles en vigueur, issues pour certaines du droit européen :
- Des limites aux libertés très encadrées : Les restrictions à la liberté religieuse doivent être justifiées par la nature de la tâche à accomplir, répondre à une exigence professionnelle essentielle et déterminante et proportionnée au but recherché (art. L. 1121-1, L. 1132-1 dans sa rédaction applicable, et L. 1133-1 du Code du travail).
Le règlement intérieur ne peut pas contenir des restrictions aux droits des personnes et aux libertés individuelles et collectives qui ne seraient pas justifiées par la nature de la tâche à accomplir ni proportionnées au but recherché (art. L. 1321-3, 2° du Code du travail).
- Une clause de neutralité : possible si … : L'employeur peut prévoir, dans le règlement intérieur ou une note de service, une clause de neutralité qui interdit le port visible de tout signe politique, philosophique ou religieux sur le lieu de travail – et donc le port du voile – si cette clause générale et indifférenciée n'est appliquée qu'aux salariés se trouvant en contact avec les clients ;
- Quand est-on en présence d' « exigence professionnelle essentielle et déterminante » ? La notion renvoie à une exigence objectivement dictée par la nature ou les conditions d'exercice de l'activité professionnelle en cause. Elle ne peut pas couvrir des considérations subjectives, telles que la volonté de l'employeur de tenir compte des souhaits particuliers du client (CJUE, 14 mars 2017, Micropole Univers, C-188/15) ;
Les attentes de la clientèle ne constituent pas un motif de restriction de la liberté religieuse du salarié
Dans l'affaire en cause, il n'y avait pas de clause de neutralité insérée dans le règlement intérieur ou dans une note de service.
La Cour de cassation rappelle que l'attente des clients sur l'apparence physique des vendeuses d'un commerce de détail d'habillement, sur laquelle se fondait l'employeur, ne peut pas constituer une exigence professionnelle essentielle et déterminante justifiant de restreindre la liberté religieuse de la salariée.
En l'absence de toute restriction autorisée, l'interdiction faite à la salariée de porter le voile caractérisait donc l'existence d'une discrimination directement fondée sur les convictions religieuses de l'intéressée.