Le document unique d’évaluation des risques professionnels, objet de toutes les attentions
Le document unique d'évaluation des risques professionnels (DUERP) fait le buzz. Ignoré jusque-là de la plupart des salariés, même des initiés, ce document monte sur le devant de la scène judiciaire avec la crise sanitaire. On le trouve partout, notamment dans le jugement Renault-Sandouville rendu par le Tribunal Judiciaire (TJ) du Havre le 7 mai 2020 (article NVO Droits publié le 19 mai), dans l'affaire Amazon rendue par la Cour d'appel de Versailles (article NVO Droits publié le 12 mai 2020).
Il est bel et bien utilisé par les juges pour condamner les employeurs qui l'ont considéré comme une formalité supplémentaire « embêtante » à élaborer. NVO Droits vous informe (sur fond de Covid-19), sur ce qu'est, et doit contenir le DUERP, sachant qu'il doit s'adapter aux particularités de chaque entreprise.
Qu'est-ce que le DUERP ?
La prévention des risques professionnels au sein d'une entreprise est un enjeu important, car tout employeur a une obligation de résultat en matière de sécurité de ses salariés (Art. L. 4121-1 du C. trav.). Sa responsabilité peut être engagée. Il est obligatoire dans toutes les entreprises, quel que soit le nombre de salariés. Il permet de définir les risques auxquels les salariés sont susceptibles d'être exposés dans l'exercice de leurs fonctions. Pour ce faire, il identifie et classe par niveau de gravité les risques auxquels sont soumis les salariés dans le cadre de leur travail (dans l'entreprise ou à l'extérieur). L'objectif étant la mise en place d'actions de prévention.
Le contenu du DUERP
Il doit contenir de nombreuses informations :
- les coordonnées complètes de l'entreprise ;
- les noms et les cordonnées des responsables (DG, RH, responsable sécurité…) ;
- la liste des unités de travail et leur descriptif (ateliers, services…) ; attention, ce découpage en unités de travail doit être déterminé en fonction des risques pouvant y être subis ; elle doit refléter la réalité des postes de travail ;
- la liste des dangers par unité de travail (physique, biologiques-infectieux, psychosociaux, chimique…) ;
- les résultats de l'évaluation par unité de travail et par danger : l'employeur doit classer les risques du plus au moins grave, et évaluer la probabilité de leur réalisation (sur une échelle de 1à 4 par exemple) ;
- le plan d'action détaillé : il s'agit de répertorier les mesures de prévention existantes et à venir, et de dater leur réalisation.
À noter : Ce document ne se résume pas au seul tableau récapitulatif des risques évalués et à évaluer. Il doit expliquer comment les risques ont été évalués et quelles méthodes ont été utilisées par l'employeur : recensement des accidents ou maladies dans l'entreprise, utilisation des données du ministère de la Santé ou de l'Institut Pasteur pour évaluer le risque d'une contamination, notamment en recherchant les délais d'incubation, et en tirer les conséquences pour l'entreprise.
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Identifier les risques
L'identification s'étend du risque physique (chutes) pouvant entraîner des lésions, voire la mort, au risque psychologique qui dégrade les conditions de travail (pratiques managériales inadaptées) ayant des conséquences importantes sur la santé des salariés.
Voici plusieurs exemples de risques habituellement identifiés :
- risques liés aux ambiances lumineuses (néons, écrans d'ordinateur) ;
- risques liés au transport (routier en mission, circulation du domicile au travail en transports en commun ou en véhicule personnel) ;
- risques liés aux chutes de matériels ou de personnes ;
- risques liés aux incendies (électricité, rideaux pare-feu) ;
- risques liés à la concentration permanente (céphalées, migraines ophtalmiques) ;
- risques liés à la surdité (utilisation de talkie-walkie, de casques de communication) ;
- risques liés aux produits, à leurs émissions, aux déchets ;
- risques psychosociaux (RPS) (télétravail, harcèlement) ;
- risques liés aux situations de travail dégradées dûes à une réorganisation du travail (situation de confinement avec télétravail tout en assurant la continuité pédagogique des enfants à la maison) ;
- risques biologiques-infectieux : le Covid-19 n'est pas un agent biologique utilisé par les entreprises, mais il constitue un risque biologique. Le tribunal judiciaire (TJ) de Lille a condamné une association d'aide à domicile pour ne pas avoir appliqué les mesures adaptées de prévention des risques biologiques liés au coronavirus (TJ Lille, ordonnance de référé du 3 avril 2020, noRG 20/00380).
À noter : D'un risque peut en découler d'autres. Le risque infectieux implique une réorganisation du travail, par exemple en télétravail. Cette situation peut aboutir à ce que le salarié travaille dans des conditions dégradées, ce risque pouvant à son tour générer des RPS.
Évaluer les risques
Évaluer les risques est indispensable pour améliorer les conditions de travail et les pratiques en vigueur dans les entreprises (Art. R.4121-1 du C. trav.).
À chaque fois qu'un risque est identifié, trois questions doivent être posées pour une évaluation correcte :
- la gravité du risque ;
- l'exposition du salarié au risque ;
- la maîtrise du risque (possible ou non dans l'immédiat, comme supprimer un outil défectueux ou dangereux).
Rapporté à la situation actuelle, évaluer le risque biologique du Covid-19 revient à :
- mesurer sa gravité : le risque de contagion, la durée d'incubation, la dangerosité du virus, mortel ou non selon l'âge des salariés, etc. ;
- mesurer l'exposition : les situations de travail ou les postes de travail pour lesquels les conditions de contagion sont réunies, si les salariés doivent prendre les transports, s'ils accueillent du public, s'ils doivent toucher certains supports/surfaces sur lesquels le virus vit plus ou moins longtemps, si les salariés sont des sujets fragiles, etc.
- maîtriser le risque : l'entreprise peut agir rapidement, donc pour diminuer la propagation du coronavirus, utiliser les gestes « barrière », maintenir en télétravail les salariés qui le pratiquaient déjà.
Cette évaluation, réalisée à un moment T, doit s'adapter à l'évolution du risque. Si une nouvelle machine en remplace une défectueuse, le risque d'accident s'amoindrit. Si le risque biologique de contagion diminue, le DUERP doit prévoir des mesures de déconfinement.
Amazon condamné à protéger ses salariés (article publié le 12 mai)Le 24 avril dernier, la cour d'appel de Versailles a condamné le géant du commerce en ligne à limiter ses livraisons aux seuls produits essentiels (alimentaires, hygiène, informatique…), le temps d'évaluer les risques de contamination de ses salariés au Covid-19. De multiples manquements sont relevés par les juges :
- une absence d'évaluation des risques adaptée au contexte d'une pandémie, y compris les risques psychosociaux ;
- un travail insuffisant sur le DUERP ;
- des mesures prises au jour le jour, sans plan d'ensemble maîtrisé comme l'exige le volume très important des effectifs présents sur chaque site ;
- des actions de formation insuffisantes pour les salariés.
L'entreprise a été condamnée, pour être autorisée à reprendre une activité normale, à se conformer aux injonctions sanitaires en y associant les CSE des six entrepôts et le CSE central. Enfin, une astreinte de 100 000 euros a été prononcée pour chaque réception, préparation et/ou expédition de produits non autorisés. [Cour d'appel de Versailles, 24 avril 2020, Amazon France Logistique c/Union syndicale Solidaires, RG n° 20/00503. Étaient parties intervenantes au procès : les fédérations des transports CGT et FO, la CFDT, le CSE central et un CSE d'établissement.]
La mise en œuvre des mesures de prévention
Ces mesures de prévention sont inscrites dans le DUERP. Elles sont directement liées aux risques évalués. L'objectif est d'éviter les risques, les combattre et d'adapter le travail en conséquence (Art. L. 4121-2 du C. trav.).
Ainsi, en période de crise sanitaire liée au Covid-19 doivent être mises en œuvre :
- Des actions collectives comme : limiter les réunions physiques ; ne pas travailler à deux sur un même poste ; aménager les horaires de travail et les temps de pause ; mettre en place des règles de circulation dans l'entreprise ; revoir les objectifs de productivité ; organiser les opérations d'habillage et de déshabillage.
- La distanciation physique est la mesure la plus difficile à mettre en œuvre en entreprise (surtout dans les secteurs du commerce, du bâtiment, des transports). Les personnes doivent rester à 1 mètre de distance les unes des autres dans toutes les directions, soit 4 min 2 s. Des plans de circulation doivent garantir le respect de cette distanciation.
- Des actions individuelles comme : séparer si besoin les salariés par des panneaux en plastique, fournir des ordinateurs individuels, des masques adaptés aux activités, du gel hydroalcoolique à chaque poste de travail. Attention : il est interdit de procéder ou de prescrire à une entreprise des tests de dépistage pour les salariés. Certaines entreprises comme Véolia y ont eu recours au début du déconfinement, mais elles ont dû se raviser, car contraire au protocole national de déconfinement lancé par le gouvernement. Ces dépistages sont possibles dans le seul cadre du suivi médical individuel des salariés.
- Des actions spécifiques aux locaux : seront nécessaires comme la désinfection et le nettoyage des locaux, des bureaux, des affichettes plastifiées peuvent être placées dans les sanitaires pour rappeler aux personnes les consignes, fermer les salles de réunions, de restauration ou les aménager pour qu'un nombre minimal de personnes puisse y accéder en même temps.
- Gérer les flux des personnes : indiquer des sens de circulation des salariés pour éviter les croisements ; éviter la présence de visiteurs extérieurs (les fournisseurs).
- Des actions d'information et de formation, gage d'une prévention efficace ; la prévention du risque passe nécessairement par des mesures d'information et de formation des salariés. L'employeur a en effet l'obligation d'informer les salariés des risques professionnels pouvant se réaliser dans l'entreprise et aux postes de travail, pour assurer leur santé et leur sécurité.
- Être informé, à toutes les étapes de l'évolution du virus, est indispensable. L'employeur doit mettre à disposition des salariés le DUERP actualisé, mais aussi envoyer des notes de service, des mails, accrocher des affiches dans les locaux, des vidéos sur l'intranet, etc. Doivent être rappelées les mesures d'hygiène indispensables et les gestes barrière : se laver les mains très régulièrement ; saluer à distance ; porter un masque ; ainsi que les mesures devant être prises si un salarié présente des symptômes.
- Si nécessaire, l'employeur doit mettre en œuvre des actions de formation. Ce peut être le cas, dans une usine, lorsque les ouvriers doivent travailler sur un nouveau procédé de fabrication intégrant des mesures de protection. En période de pandémie, la formation peut porter sur l'utilisation des masques.
Mise à disposition élargie du DUERPLe document unique d'évaluation des risques professionnels doit être tenu à la disposition : des travailleurs ; des membres de la délégation du personnel au comité social et économique ; du médecin du travail et des professionnels de santé mentionnés à l'article L. 4624-1 ; des agents de l'inspection du travail ; des agents des services de prévention des organismes de Sécurité sociale ; des agents des organismes professionnels de santé, de sécurité et des conditions de travail mentionnés à l'article L. 4643-1 ; des inspecteurs de la radioprotection mentionnés à l'article L. 1333-29 du Code de la Santé publique et des agents mentionnés à l'article L. 1333-30 du même code, en ce qui concerne les résultats des évaluations liées à l'exposition des travailleurs aux rayonnements ionisants, pour les installations et activités dont ils ont respectivement la charge.
Un avis indiquant les modalités d'accès des travailleurs au document unique est affiché à une place convenable et aisément accessible dans les lieux de travail. Dans les entreprises ou établissements dotés d'un règlement intérieur, cet avis est affiché au même emplacement que celui réservé au règlement intérieur (Art. R.4121-4 du C. trav.).
À noter : Les personnes mentionnées dans cette liste ont un droit de regard sur le DUERP. À ce titre, ils peuvent saisir eux-mêmes la justice en cas de manquement de l'employeur, ce que l'inspectrice du travail, dans l'affaire de l'association d'aide à domicile, (TJ de Lille, ord. Référé no 20/00380, du 3 avril 2020) n'a pas hésité à faire. Également, les juges peuvent exiger de ces personnes qu'elles interviennent pour élaborer avec l'employeur le DUERP, comme dans l'affaire opposant le syndicat Sud à La Poste (TJ de Paris, ordo. référé n° 20-52223 ; du 9 avril 2020, La Poste condamnée à actualiser et diffuser le DUER).
Jugement Renault : la procédure au service du droit à la santé des salariés
La mise à jour régulière du DUERP
Ce document doit évoluer pour rendre compte des progrès réalisés d'une année sur l'autre en termes de conditions de travail. Ainsi, la mise à jour du DUERP est réalisée :
- au moins chaque année ;
- lors de toute décision d'aménagement important modifiant les conditions de santé et de sécurité ou les conditions de travail ;
- lorsqu'une information supplémentaire intéressant l'évaluation d'un risque dans une unité de travail est recueillie (accidents du travail survenus, apparition d'une maladie professionnelle) ( R. 4121-2du C. trav.)
Cette actualisation permet de prévoir des mesures de prévention et de protection adéquates et de réduire au maximum les risques de contagion. Identifier le virus comme risque biologique infectieux et l'évaluer s'avère également indispensable dans le cadre de la reprise progressive du travail (déconfinement) qui anime désormais les entreprises.
À défaut d'actualisation, l'employeur s'expose à des risques judiciaires (TJ de Paris, ordo. référé n° 20-52223 ; du 9 avril 2020, La Poste condamnée à actualiser et diffuser le DUER), notamment si la contamination d'un salarié est qualifiée en « accident du travail ».
Le rôle des membres élus du CSE
Les élus du CSE doivent être informés de la mise à jour du document unique par la direction. Cette diffusion concerne tous les membres du CSE, et pas seulement la commission Santé sécurité et conditions de travail (CSSCT).
Le chef d'entreprise est certes responsable de la rédaction du DUERP, mais cela ne signifie pas qu'il le rédige seul ou qu'il peut reporter cette responsabilité sur un autre salarié. Par contre, il peut faire intervenir les salariés, et les élus, mieux à même de connaître les postes de travail. Ils sont aussi un rôle à jouer dans l'identification et l'évaluation des risques. Leur expertise en tant qu'élus et salariés est parfois déterminante, en particulier s'agissant l'identification des risques psychosociaux.
Par ailleurs, les élus du CSE doivent être intégrés dans un processus d'information/consultation sur les questions d'organisation, de gestion et de marche de l'entreprise, à savoir les conditions d'emploi et de travail. C'est pourquoi, le CSE doit être consulté préalablement à la reprise de l'activité (Art. L. 2312-8 du C. trav.).
De même le CSE peut se faire assister par un expert habilité (Art. L. 2315-94 du C. trav.) sur tout aménagement important modifiant les conditions de travail, ce qui peut tout à fait se produire s'agissant des mesures prises dans le cadre du plan de déconfinement élaboré par l'employeur.
Si l'employeur n'informe pas et ne consulte pas le CSE, il commet le délit d'entrave. Les élus peuvent demander la tenue d'une réunion extraordinaire avec à l'ordre du jour les modalités de la reprise d'activité.
À noter : Les délais de convocation du CSE et ceux dont dispose le comité pour rendre son avis lors d'une information/consultation sur les décisions de l'employeur, qui ont pour objectif de faire face aux conséquences économiques, financières et sociales de la propagation de l'épidémie de Covid-19, ont été réduits temporairement jusqu'au 23 août 2020 (ord. n° 2020-507 du 22 avril 2020 et décret n° 2020-508 du 2 mai 2020, J.O. du 3). Par exemple, plus que huit jours pour rendre un avis et onze jours en cas de recours à un expert (onze jours et douze jours pour le CSE central). Les délais de réalisation des expertises lancées par le comité sont aussi concernés.
Pour la période présente de reprise de l'activité, les élus du comité auront ainsi très peu de temps pour s'assurer que des conditions d'un retour au travail protectrices pour les salariés sont réunies, notamment en ce qui concerne l'organisation et les conditions de travail (voir notre article critique du 6 mai 2020).
Absence de DUERP ou défaut d'actualisation, quelles conséquences ?
L'employeur, tenu d'une obligation de sécurité en matière de protection de la santé et de la sécurité des travailleurs dans l'entreprise, doit en assurer l'effectivité (Art. 4121-1 du C. trav.). Ainsi, en cas d'accident du travail, l'absence de DUERP peut entraîner des sanctions.
Si le salarié justifie avoir subi un préjudice, faute pour l'employeur d'avoir établi le DUERP, ce dernier peut être condamné à des dommages-intérêts. (Cass. soc. 25 sept. 2019, n° 17-22224) et encoure une sanction pénale de 1 500 euros d'amende, 3 000 euros en cas de récidive (Art. R. 4741-1 du C. trav.), et 7 500 euros d'amende si le document n'est pas mis à la disposition du CSE (Art. L. 2316-1 et L.4742-1 du C. trav.).
Les sanctions peuvent être plus importantes, si de l'absence ou du défaut de DUERP, découlent d'autres dommages. Un employeur qui ne protège pas suffisamment ses salariés d'un risque de contagion au Covid-19 engage sa responsabilité pénale.
Selon l'article 121-3 du Code pénal, il y a délit « en cas de faute d'imprudence, de négligence ou de manquement à une obligation de prudence ou de sécurité prévue par la loi ou le règlement, s'il est établi que l'auteur des faits n'a pas accompli les diligences normales, compte tenu, le cas échéant, de la nature de ses missions ou de ses fonctions, de ses compétences, ainsi que du pouvoir et des moyens dont il disposait ». L'employeur encourt une peine d'un an d'emprisonnement et 15 000 euros d'amende (art. 223-1 C. pénal). Voire plus, si les risques auxquels sont exposés les salariés se réalisent… La mise en danger d'autrui peut alors se muer en « homicide involontaire » ou en « atteinte involontaire à l'intégrité physique des personnes ».