Une seule instance pour les représentants du personnel
Selon la ministre du Travail, la présence de quatre institutions représentatives du personnel (IRP) différentes dans l’entreprise obligerait l'employeur à répéter quatre fois la même chose aux représentants du personnel et empêcherait les élus d’avoir une vision d’ensemble. Cette affirmation traduit une méconnaissance des spécificités de chaque institution et des échanges qui s'instaurent naturellement entre les élus et mandatés de chacune d'entre elles.
Il n'en demeure pas moins que la loi d'habilitation des ordonnances permet au gouvernement d'imposer la fusion du comité d’entreprise, du CHSCT et des délégués du personnel en une instance unique de représentation.
Un comité social et économique remplacerait les trois instances actuelles
Un comité social et économique serait mis en place sur le périmètre du comité d'entreprise, c'est-à-dire dans les entreprises d'au moins cinquante salariés. Il regrouperait les délégués du personnel, les élus du comité d'entreprise, les élus du CHSCT et également, sous certaines conditions, les délégués syndicaux (voir ci-après).
La mise en place de ce comité social et économique serait impérative soit immédiatement dans les entreprises où il n'y a pas d'instance de représentation, soit à l'expiration des mandats actuellement en cours pour celles qui disposent de délégués du personnel, d'un comité d'entreprise et/ou d'un CHSCT. Un accord collectif pourrait toutefois prévoir de fusionner CHSCT et CE et de maintenir les délégués du personnel (DP) à part. Un accord de branche ou un accord d'entreprise majoritaire pourrait intégrer les délégués syndicaux à l'instance fusionnée, ce qui autoriserait l'instance à négocier ce dont nous traiterons dans un prochain article.
L’instance unique signe la disparition des délégués du personnel d'établissement
La mise en place de cette instance unique va aboutir à la disparition de fait des délégués du personnel d'établissement, représentants de proximité. En effet, le périmètre de l'instance fusionnée sera celui des comités d'entreprise actuels (et en cas de pluralité d'établissements, des comités d'établissement et du comité central d'entreprise). Les établissements distincts au sens des seuls délégués du personnel (c'est-à-dire ceux où se trouve uniquement sur place un représentant de l'employeur susceptible de transmettre les réclamations, même si ce représentant n'a pas le pouvoir d'y donner suite lui-même) ne pourraient plus élire de DP autonomes dans ce périmètre plus restreint (c'est le même cas de figure aujourd'hui avec la délégation unique du personnel).
Leur disparition entraînera une coupure entre les salariés et leurs représentants, car non seulement il y aura moins de représentants du personnel élus au plus près du terrain, mais de surcroît, le cumul des fonctions représentatives aura vocation à transformer les élus en professionnels de la représentation, éloignés des salariés et de leurs préoccupations au quotidien.
Des prérogatives maintenues mais difficilement praticables
L'ordonnance est autorisée à définir les conditions de mise en place, la composition, les attributions et le fonctionnement de l'instance, y compris les délais d'information-consultation, les moyens, le nombre maximum de mandats électifs successifs des membres de l'instance ainsi que les conditions et modalités de recours à une expertise.
A l'issue des rencontres bilatérales avec les syndicats, le ministère a affirmé que l'ensemble des prérogatives des trois IRP serait maintenu dans l'instance fusionnée s'agissant de l'information-consultation. Mais à la différence de l'actuelle délégation unique du personnel (DUP) où chaque institution est informée et consultée sur ses attributions propres, l'instance fusionnée serait consultée dans son ensemble, sur tous les thèmes, sans que l'on distingue s'ils relèvent des attributions du comité d'entreprise, du CHSCT, ou des délégués du personnel. Les élus devront être en capacité d'intervenir sur tous les sujets du CE, du CHSCT et des DP. Les représentants du personnel au sein d'une instance fusionnée auront donc une vue partielle de l'entreprise alors que le gouvernement prétend l'éviter avec sa réforme. L'élargissement des missions de chaque élu à l'exercice de l'ensemble des prérogatives des instances actuelles ne pourra, faute de temps, qu'affadir la compétence spécialisée qu'ils détiennent aujourd'hui. Le processus d'information-consultation en sera appauvri.
Un salarié ne pourrait pas exercer plus de trois mandats successifs
D'ailleurs, le gouvernement lui-même a admis que le fait que toutes les IRP soient fusionnées amènerait les représentants du personnel à procéder à une priorisation, une hiérarchisation des sujets traités. En fonction du contexte, les questions de santé au travail passeront au second plan par rapport aux attributions économiques ou inversement. Si ce n'est pas purement et simplement les activités sociales et culturelles qui seront privilégiées. Le ministère ayant clairement affirmé par ailleurs que le nombre d'élus sera moindre. Il a aussi indiqué qu'un salarié ne pourrait pas exercer plus de trois mandats successifs dans une même entreprise.
L'instance conserverait le droit de recourir aux expertises. Mais la loi d'habilitation autorise les ordonnances à définir les conditions de recours à celles-ci et elles pourraient rendre obligatoire la sollicitation de devis auprès de plusieurs prestataires, ce qui signifie la mise en place d'un mécanisme d'appel d'offre. Le futur comité social et économique serait ainsi soumis aux pratiques commerciales comme s'il s'agissait d'une entreprise. Cette nouvelle obligation ne pourra que profiter aux gros cabinets d'expertises qui ont davantage de possibilité de compresser certains coûts. C'est le « dumping social » de l'expertise qui se prépare avec à terme la disparition programmée des petits cabinets indépendants des grosses structures;
L'ordonnance va aussi définir les conditions dans lesquelles une commission spécifique traitant des questions d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail pourra être créée au sein du comité social et économique (avec les risques que détaille notre prochain article).