Liberté d'expression, attention aux abus !
Quelles sont les limites à la liberté d’expression dans une entreprise ? Dans un arrêt du 2 juin, la Cour de cassation rappelle que ce droit, certes fondamental, n’est pas absolu. Porter des accusations graves en l’absence de preuves peut entraîner un licenciement pour faute grave.
Dans cette affaire, un salarié de l’entreprise Nestlé est mis en arrêt de travail en avril 2006 puis déclaré apte à la reprise du travail quelques mois plus tard. Avant sa visite de pré-reprise, il écrit au médecin du travail pour lui reprocher, avec la direction, les délégués du personnel et divers responsables de services, de nuire à son reclassement professionnel. Lorsqu’il reprend le travail, ce salarié envoie un deuxième courrier au directeur des ressources humaines pour dénoncer une manipulation quant à son reclassement. Il accuse le DRH, et plus généralement Nestlé, d’être de connivence avec le conseil de prud’hommes, la caisse primaire d’assurance maladie, la Cotorep, le conseil général et les experts (établissement de faux), pour entraver ses demandes de reconnaissance de maladie professionnelle. Par ailleurs, il dénonce l’adoption de stratégies destinées à dissimuler au grand public « l’énormité des bénéfices » engrangés par Nestlé, la politique de l'emploi dans le groupe, etc. Quelques jours plus tard, il réitère ces propos dans un message laissé à la chargée des ressources humaines.
Considérant ces accusations infondées, l'employeur licencie le salarié pour faute grave. Mais ce dernier estime qu’il n’a fait qu’user de sa liberté d’expression. Il saisit les prud’hommes. Pour sa défense, il invoque le contexte des courriers litigieux : un procès en harcèlement moral précédemment gagné contre Nestlé, des affectations à des postes non compatibles avec son état de santé au mépris des prescriptions du médecin du travail, des arrêts de travail réguliers. Ses courriers ne faisaient que dénoncer, avec amertume et colère certes, le traitement indigne dont il était l’objet depuis presque deux ans alors qu’il était travailleur handicapé. Selon lui, il était légitime de reprocher à son employeur sa mise à l’écart et l’absence de reclassement sur un poste conforme, malgré les rappels à l’ordre de l’inspection du travail.
Mais la Cour de cassation n’est pas de cet avis. Selon les juges, le salarié a porté des accusations graves, multiples et répétées contre son employeur et différents salariés, dans des termes injurieux et excessifs. En l’absence d’éléments corroborant ces propos, ces derniers sont considérés comme mensongers. Toujours selon les juges, aucun lien avec le harcèlement – par ailleurs réel – ne peut être établi ; il y a là une faute d’une importance telle qu’elle rend impossible le maintien du salarié dans l’entreprise. Conclusion, le licenciement pour faute grave est justifié.